Saint Augustin — De ce qui est bien dans le mariage.
I. Société primitive de l’homme et de la femme.
- Chaque homme constitue, par lui-même, une partie du genre humain; et la nature humaine est essentiellement faite pour la société, où elle trouve d’immenses et précieux avantages, ainsi que la puissance de l’amitié. Aussi Dieu a-t-il voulu que tous les hommes fussent enfants d’un même père, afin de maintenir entre eux une société réciproque, basée non-seulement sur la similitude de genre, mais sur les liens de parenté. L’union de l’homme et de la femme est donc le premier lien naturel de la société humaine. Remarquons qu’ils ne furent pas l’objet d’une création distincte, qui les eût rendus étrangers l’un à l’autre; c’est de l’homme que Dieu forma la femme, pour marquer qu’en la tirant de la poitrine de l’homme, c’est dans le coeur que résiderait leur force d’union réciproque1. On dit de ceux qui cheminent ensemble et qui ont les yeux fixés sur le même but, qu’ils marchent côte-à-côte. Un autre lien de société est formé par les enfants, le seul fruit honorable, non pas de l’union, mais des relations conjugales de l’homme et de la femme. Même en dehors de ces relations, il peut y avoir dans chacun des deux sexes un rapprochement de parenté et d’amitié, très-compatible avec l’autorité de l’un et la soumission affectueuse de l’autre.
II. De la propagation des enfants en dehors du péché.
- On a souvent demandé quelle eût été, en dehors du péché, la génération des premiers hommes que Dieu avait bénis en ces termes : « Croissez et multipliez-vous et couvrez la face de la terre ». Mais nous ne voyons aucune nécessité ni d’étudier cette question, ni de chercher à la résoudre, puisque le péché est malheureusement un fait qui a soumis les corps à la mort, et qu’aujourd’hui il ne peut y avoir d’union qu’entre des corps mortels. On a émis sur ce point des opinions aussi nombreuses que différentes, et il serait bien difficile de préciser celle qui se rapproche le plus de la vérité des divines Ecritures. Les uns soutiennent qu’en dehors du péché les enfants auraient pris naissance sans aucune relation nécessaire des époux, par l’effet seul de la toute-puissance du Créateur. Dieu peut, sans aucun doute, former les enfants en dehors de tout concours des parents, lui qui a pu former la chair de Jésus-Christ dans le sein virginal de Marie, et qui, pour me faire comprendre des infidèles eux-mêmes, donne aux abeilles une naissance à laquelle le mélange des sexes est absolument étranger. D’autres soutiennent que la bénédiction dont il est parlé, avait été prononcée dans un sens mystique et figuratif ; en sorte que ces paroles «Remplissez la terre et soyez-en les maîtres 2 », doivent s’entendre de la plénitude et de la perfection de la vie, tandis que ces autres « Croissez et multipliez », ne signifient que le progrès de l’esprit et l’abondance de la vertu. C’est dans ce sens que le Psalmiste a dit : « Vous me multiplierez dans mon âme par la vertu »3. Eu effet l’homme n’eut d’enfants par la succession ordinaire que quand, grâce au péché, la mort fut devenue sa destinée.
D’autres prétendent que nos premiers parents n’avaient pas reçu un corps spirituel mais un corps animal, que l’obéissance aurait rendu spirituel et dès lors capable de l’immortalité.[p. 107] Cette immortalité n’eût pas attendu la mort qui est entrée dans le monde par la jalousie de Satan 4 et est devenue le châtiment du péché; mais elle eût été l’oeuvre de cette transformation dont parle l’Apôtre : « Ensuite nous qui vivons, qui sommes laissés sur la terre, nous serons ravis avec eux dans les nuées à la rencontre du Christ »5. D’après cette opinion, le corps des premiers époux était mortel, en vertu de sa conformation première, et cependant ils ne seraient pas morts sans le péché, contre lequel Dieu avait porté une menace de mort. Supposez que Dieu eût menacé ce corps d’une blessure parce qu’il était vulnérable ; si ce corps n’eût point désobéi, tout vulnérable qu’il était, il n’aurait point été blessé. De même rien n’empêchait que la génération fût possible à des corps susceptibles, dans une certaine mesure, d’un progrès continuel, sans toutefois passer par la vieillesse ou au moins par la mort, jusqu’à ce que fût réalisée la bénédiction en vertu de laquelle ils devaient remplir toute la terre. Dieu voulut que les vêtements des Hébreux dans le désert se conservassent intacts pendant quarante ans 6. A combien plus forte raison, si l’homme fût resté obéissant, Dieu aurait-il accordé à son corps une certaine permanence heureuse, jusqu’à ce qu’il fût arrivé à une transformation plus parfaite, non point par l’effet de la mort, qui chasse l’âme du corps, mais par l’effet du passage de la mortalité à l’immortalité, de la qualité animale à la qualité spirituelle.
III. Trois premiers avantages.
Laquelle de ces opinions est la vraie ? Peut-on en imaginer d’autres encore, tout en se fondant sur les paroles de la bénédiction primitive ? De telles questions nous entraîneraient trop loin.
- Contentons-nous de dire que, vu la condition où nous sommes créés et que nous connaissons, de naître et de mourir, l’union de l’homme et de la femme est en elle-même un bien réel. En effet cette union est si précieuse aux yeux de l’Ecriture, que la femme, du vivant de son premier époux, ne peut en épouser un autre, fût-elle renvoyée par lui. Réciproquement, l’homme renvoyé par sa femme ne peut en épouser une autre jusqu’à ce que la première soit décédée. Dans l’Evangile le Sauveur affirme la bonté du mariage, non-seulement en défendant à la femme de quitter son mari, si ce n’est en cas de fornication 7, mais encore en acceptant d’assister lui-même à un mariage 8. Ce fait, à lui seul, prouve là la proposition que j’avance.
L’honorabilité du mariage ne résulte pas seulement de la création des enfants, mais encore du besoin naturel à des sexes différents de faire entre eux société. Autrement le mariage ne serait pas convenable entre vieillards, surtout s’ils avaient perdu leurs enfants ou s’ils n’en avaient jamais eu. Or ce mariage entre vieillards, tous le regardent comme légitime; l’ardeur juvénile des époux n’existe plus, mais il suffit que l’affection les unisse. Aussi regardons-nous comme un signe de perfection dans les époux de renoncer, d’un consentement mutuel, aux relations conjugales; dès lors plus ils sont parfaits, plus tôt ils y renoncent, non pas que par là ils se soient mis dans l’impossibilité physique de répondre, dans la suite, à une volonté réciproque ; du moins se sont-ils procuré la gloire de se refuser ce qui leur était permis; et quand les époux se rendent réciproquement le respect et les autres devoirs, leurs membres fussent-ils glacés et presqu’éteints par l’âge, le mérite de la chasteté leur reste; chasteté du coeur et d’esprit d’autant plus sincère, d’autant plus sûre, qu’elle est plus calme et plus tranquille. De plus le mariage a encore cet heureux résultat de tourner vers le but honnête de la propagation des enfants, l’incontinence, même vicieuse, des jeunes gens. C’est ainsi que l’union conjugale change en bien le mal même de la concupiscence. Ensuite l’affection paternelle réprime et rend plus honnêtes les ardeurs de la chair. La volupté la plus ardente devient tout à coup un sentiment sérieux dans les époux, à la pensée qu’en s’unissant ils vont mériter les titres de père et de mère.
IV. Autre avantage dans le mariage la fidélité conjugale.
- Quant au devoir conjugal, malgré l’intempérance qui l’accompagne quelquefois, toujours est-il qu’il est, de la part des époux, matière à fidélité réciproque. Cette fidélité, [p. 108] aux yeux de l’Apôtre, donne un droit si réel, qu’il ne craint pas de l’appeler une puissance « La femme, dit-il, n’a pas puissance sur son corps, elle appartient à l’homme. Celui-ci à son tour n’est pas dans une condition différente, son. corps est en la puissance de sa femme »9. Violer cette fidélité, c’est se rendre coupable d’adultère; ce qui arrive quand, au mépris du pacte conjugal, poussé par la passion ou attiré par les séductions d’une personne étrangère, on a avec elle des relations coupables. La fidélité est détruite à l’instant même, et cette fidélité, en ce qui regarde les choses corporelles et humiliantes, est toujours un grand bien de l’âme, car elle doit être préférée à la vie même du corps. Une paille légère n’est rien en face d’une grande quantité d’or; cependant que la fidélité ait pour objet de la paille ou de l’or, elle a toujours son prix et la même importance.
Invoquera-t-on la fidélité pour s’autoriser à commettre le péché ? Je m’étonnerais qu’il y eût alors fidélité. Quelle qu’elle soit, cependant, il suffit de la violer, pour devenir par cela même plus coupable, excepté dans le cas où l’on y renonce pour revenir à la vraie fidélité, c’est-à-dire pour corriger sa volonté et renoncer au péché. Par exemple, tel malfaiteur se trouve trop faible pour attaquer seul un voyageur; il trouve un complice, et tous deux s’engagent à réaliser ce crime et à partager le butin. Mais le crime à peine commis, l’un des deux criminels s’empare seul des dépouilles. L’autre gémit et se plaint de la violation des engagements contractés envers lui. Qu’il se souvienne plutôt qu’avant tout il avait à se montrer fidèle à ses obligations envers la société humaine, et que le premier de ses devoirs était d’empêcher qu’un homme fût injustement dépouillé, lui qui sent si vivement l’iniquité d’une infidélité commise dans un pacte criminel. Il est donc doublement coupable et doublement criminel. Au contraire si, regrettant tout à coup la faute commise, il refuse sa part des dépouilles et demande qu’elles soient rendues à leur véritable possesseur, on ne pourra évidemment l’accuser d’infidélité. De même, supposé qu’une femme, après avoir violé la foi conjugale, reste fidèle au complice de son adultère, elle serait coupable; elle le serait plus encore en se rendant infidèle à l’un et à l’autre: Mais qu’elle se repente de son crime, qu’elle revienne à la foi conjugale, qu’elle rompe avec ses engagements et renonce à ses joies adultères, et j’affirme qu’elle ne sera plus regardée ni comme infidèle, ni comme adultère.
V. Quand y a-t-il mariage entre l’homme et la femme.
- Un homme et une femme qui ne sont liés par aucun mariage antérieur, ont ensemble des relations charnelles, non pas précisément dans le but d’avoir des enfants, mais uniquement par incontinence; et cependant ils nourrissent la ferme résolution de se garder une fidélité réciproque. On demande si l’on peut voir en cela un mariage véritable. On le peut certainement pourvu que leur engagement soit perpétuel, pourvu aussi que, sans se proposer peut-être la génération des enfants, ils ne l’évitent pas de propos délibéré et ne s’y opposent pas criminellement. Mais si l’une ou l’autre de ces conditions manque, il n’y a plus mariage à nos yeux. En effet, qu’un homme conserve une femme en attendant qu’il trouve à en épouser une autre qui lui agrée davantage, pour l’honneur ou pour la richesse, je dis que dans son coeur il commet l’adultère, non pas précisément contre celle qu’il désire trouver,mais contre celle qu’il entretient sans avoir l’intention de l’épouser. Et si cette dernière connaît les dispositions de son séducteur, elle est coupable parce qu’elle n’est liée à lui par aucun engagement matrimonial. Toutefois si, même alors, elle reste fidèle; si, après le mariage de son complice, elle n’a aucune volonté de se marier et se dispose à vivre dans la continence absolue, je crois qu’alors je ne pourrais pas l’accuser d’adultère. Tous affirment du reste et sans hésiter, qu’elle pèche dans les relations qu’elle a avec un homme dont elle n’est pas l’épouse. Supposons maintenant que, dans ses désordres, du moins quant à ce qui la regarde, elle ne se propose autre chose que d’avoir des enfants, et, qu’en dehors de ce but, tout la fasse souffrir, je dis qu’elle l’emporte sur un grand nombre de matrones qui, sans être proprement adultères, forcent des maris qui voudraient rester dans la continence, à leur rendre le devoir conjugal, non pas dans le but d’avoir des enfants, mais uniquement pour satisfaire l’ardeur de la (109) concupiscence qui les dévore, usant ainsi avec intempérance d’un droit qui leur appartient. Et cependant leur mariage reste bon en lui-même, par cela seul qu’elles sont mariées; car elles le sont, afin de restreindre cette concupiscence dans des limites légitimes, en dehors desquelles elle déborderait sans mesure et sans frein, appuyée sur l’indomptable faiblesse de la chair, tandis que le mariage produit l’union indissoluble et force à la fidélité; de plus la chair, par elle-même, se porte immodérément aux oeuvres qui lui sont propres; le mariage, au contraire, couvre du voile de la chasteté, la génération elle-même; car, s’il est honteux d’user passionnément d’un mari, c’est faire preuve d’honnêteté de ne connaître que son mari et de ne recevoir que de lui les honneurs de la maternité.
VI. Du devoir conjugal.
On trouve des maris qui poussent l’incontinence jusqu’à méconnaître l’état embarrassé de leurs épouses. Mais si les époux se livrent à l’immodestie et à la honte, c’est la faute des hommes et non du mariage.
- Et même, dans l’usage immodéré du mariage, usage que l’Apôtre leur permet mais qu’il ne commande point, et qui a un tout autre but que celui de la génération des enfants; quoique alors ils cèdent à l’entraînement de leurs moeurs dépravées, le mariage a encore l’efficacité de les soustraire à l’adultère ou à la fornication. En effet, ce n’est pas le mariage qui commande cet acte, mais c’est le mariage qui l’excuse. Dès lors si les époux s’appartiennent l’un à l’autre pour la génération des enfants, but premier assigné à la société humaine dans notre existence mortelle, ils s’appartiennent aussi comme remède à la faiblesse de la chair, et se trouvent l’un à l’égard de l’autre, dans une sorte de servitude pour étouffer jusqu’aux désirs illicites et pour ne pouvoir garder l’un ou l’autre perpétuellement la continence, sans un consentement réciproque. Voilà pourquoi « l’épouse n’a point puissance sur son corps, il appartient au mari; de même celui-ci n’est plus le maître de son corps, c’est la femme »10. Donc, en dehors même de la génération, les faiblesses et l’incontinence imposent aux époux cette servitude réciproque, comme préservatif contre une honteuse corruption inspirée par le démon et nourrie par l’incontinence soit de l’un des époux, soit des deux ensemble. Le devoir conjugal, quand il a pour but la génération, n’est point une faute; accompli uniquement pour satisfaire la concupiscence, mais entre époux, en gardant la fidélité conjugale et dans la mesure du devoir, il n’excède pas le péché véniel; tandis que l’adultère et la fornication sont toujours péchés mortels. D’où il suit que la continence absolue est bien plus parfaite que le devoir conjugal, même quand il n’a pour but que la génération.
VII. Indissolubilité du mariage.
Garder la continence, c’est l’état le plus parfait; rendre le devoir conjugal est une chose permise; l’exiger en dehors des nécessités de la génération, c’est un péché véniel; commettre la fornication ou l’adultère, c’est un péché mortel. La charité conjugale exige donc que l’un des époux, sous prétexte de mériter davantage, se garde bien d’être pour l’autre une cause de damnation. Car « celui qui renvoie sa femme, sauf le cas de fornication, la pousse à l’adultère »11. En effet, le pacte nuptial est si sacramentel qu’il n’est pas même rompu par la séparation des époux. Tant que son époux est vivant, eût-elle été renvoyée par lui, la femme commet l’adultère en connaissant un autre homme; et le mari, en la renvoyant, s’est fait la cause de ce crime.
- Puisqu’il est permis de renvoyer sa femme surprise en adultère, est-il aussi permis d’en épouser une autre ? L’Ecriture donne lieu, sur ce point, à une difficulté assez grave. L’Apôtre, promulguant en cela un précepte du Seigneur, déclare que la femme ne doit point se séparer de son mari; et que, si, elle s’en sépare, elle doit rester sans mari, ou se réconcilier avec le sien 12. En voici la raison. En se séparant d’un mari qui n’est point adultère et en suspendant toute relation conjugale, elle exposerait son époux à tomber dans l’adultère ou l’impureté. Mais elle peut en toute justice se réconcilier avec lui, soit en tolérant son inconduite, si pour elle-même la continence est impossible, soit surtout en le ramenant à des sentiments meilleurs. Dès lors je ne vois pas [p. 110] sur quoi l’on peut s’appuyer pour soutenir que l’homme, dont la femme est adultère, peut, après l’avoir quittée, en épouser une autre, puisque, dans le même cas, la femme ne peut convoler à de nouvelles noces. S’il ne peut en épouser une autre, c’est que le lien conjugal d’abord formé dans le but d’avoir des enfants est tellement indissoluble, qu’il ne peut être rompu pour chercher la génération dans un autre mariage. Autrement, tel homme dont la femme est stérile, pourrait la renvoyer et en épouser une autre, avec laquelle il aurait des enfants. Or , agir ainsi serait un crime; la loi en vigueur de nos jours et appuyée sur la coutume romaine, ordonne de n’avoir qu’une seule femme vivante ; et cependant après le divorce pour cause d’adultère, de la part de l’un ou de l’autre des deux époux, il pourrait encore naître des enfants, s’il était permis de contracter un nouveau mariage. La loi divine le défend d’une manière absolue, et c’est là ce qui prouve à tout homme réfléchi la force irrésistible du lien conjugal. Pourrait-il en être ainsi, si le sacrement ne venait fortifier la faiblesse humaine et s’imposer aux hommes jusqu’à leur faire craindre un châtiment infaillible, s’ils renoncent au lien conjugal, où s’ils cherchent à le dissoudre ? Une séparation peut avoir lieu, mais l’union des époux ne sera, pas brisée; ils resteront époux, même après s’être séparés, et s’ils s’abandonnent à la licence de leurs moeurs, ils se rendent coupables d’adultère à l’égard de ceux avec lesquels ils restent unis, la; femme à l’égard de son mari et réciproquement. Le mariage, jusqu’à ce point indissoluble, n’est possible que dans la cité de notre Dieu et sur sa montagne sainte 13.
VIII. Le divorce chez les gentils et chez les juifs. Le mariage est un bien, quoique moindre.
Il n’en est point ainsi du mariage parmi les nations païennes. Chez elles, par le fait seul de la répudiation, et sans que la justice humaine s’en occupe aucunement, la femme peut épouser un autre mari, et réciproquement. Moïse, de son côté, cédant à la dureté des Israélites, semble leur avoir permis quelque chose de semblable en les autorisant à donner le libelle de répudiation 14. Et en cela je trouve plutôt la condamnation que l’approbation du divorce.
- « Le mariage doit donc être honorable en tout et le lit nuptial immaculé »15. En disant que le mariage est bon en lui-même, nous ne parlons pas d’une bonté relative, comparativement à la fornication; autrement mariage et fornication ne seraient que des maux, dont l’un seulement serait plus grand que l’autre. Ou bien la fornication serait bonne parce qu’elle est un moindre mal que l’adultère, puisque c’est une plus grande faute de violer le mariage d’autrui, que de s’attacher à une concubine. L’adultère, à son tour, serait bon , parce qu’il est un moindre mal que l’inceste , car souiller sa mère est un plus grand crime que de violer une femme étrangère ; ainsi de suite, en descendant jusqu’à ces hontes que l’Apôtre défend de nommer, tout sera bon , comparé à ce qui est pire 16. La fausseté d’un tel raisonnement est évidente. Le mariage et la fornication ne sont pas deux maux, dont l’un serait plus grand que l’autre. Au contraire le mariage et la continence sont deux biens, dont l’un est supérieur à l’autre. De même , la santé et l’état de souffrance ne sont pas deux maux, dont l’un serait plus grand que l’autre, tandis que la santé et l’immortalité sont deux biens, dont l’un est supérieur à l’autre. Enfin la science et la vanité ne sont pas deux maux, à condition que celui-ci soit le plus grand ; mais la science et la charité sont deux biens , celle-ci l’emporte sur la première. « La science sera détruite », dit l’Apôtre, et cependant elle est nécessaire en cette vie ; « quant à la charité elle ne tombera jamais »17.De même cette génération mortelle qui est le but du mariage, disparaîtra, tandis que la continence qui est ici-bas un commencement de vie angélique, restera éternellement.
De même donc que les jeûnes des pécheurs sont moins méritoires que les festins des justes, de même le mariage des filles fidèles l’emporte sur la virginité des filles qui n’ont pas la foi. Toutefois, dans ces hypothèses, ce n’est pas le festin que nous préférons au jeûne, mais la justice au péché ; ce n’est pas le mariage que nous préférons à la virginité, mais la foi à l’impiété. Enfin si les justes mangent quand il en est besoin, c’est afin de se montrer bons maîtres à l’égard du corps leur esclave , et de lui accorder ce qui est juste et équitable, [p. 111] tandis que le jeûne des pécheurs sacrilèges tourne directement au service des démons. De même si les filles fidèles se marient, c’est pour avoir, avec leurs époux, des relations chastes et modestes, tandis que dans une fille païenne la virginité est une véritable fornication contre le vrai Dieu. Marthe, en servant les saints , faisait une bonne action ; mais Marie faisait encore mieux en se prosternant aux pieds du Seigneur et en recueillant sa parole18. Nous louons en Suzanne la chasteté conjugale 19; mais en cela même elle est inférieure à Anne la veuve, et surtout à la Vierge Marie 20. Les femmes qui, sur leur fortune, fournissaient le nécessaire à J.- C. et à ses disciples, faisaient bien; mais ceux-là faisaient mieux encore qui renonçaient à tout pour suivre plus facilement le Sauveur. Or, dans toutes ces circonstances, et ceux qui abandonnaient tout et ceux qui imitaient Marthe et Marie, ne pouvaient aspirer à un état plus parfait qu’en quittant l’état moins parfait. D’où il suit que le mariage ne doit pas être considéré comme un mal, bien que dans le mariage on ne puisse pratiquer ni la chasteté viduelle ni l’intégrité virginale. De même les fonctions de Marthe n’étaient pas mauvaises, bien que sa soeur, si elle l’eût imitée, n’aurait pas fait ce qui était mieux. Enfin ce n’est pas un mal de donner l’hospitalité à un juste ou à un prophète, bien qu’on ne doive point avoir de maison , quand on veut suivre Jésus-Christ jusqu’à la perfection.
IX. En quoi consiste la bonté du mariage.
- Il est à remarquer que parmi les dons de Dieu, il en est que l’on doit rechercher pour eux-mêmes, tels sont la sagesse, la santé, l’amitié; il en est d’autres qui ne sont nécessaires que comme moyens, tels sont la science, la nourriture, la boisson, le sommeil, le mariage et les relations conjugales. Parmi les derniers actes les uns sont nécessaires à la sagesse , telle est la science; les autres sont nécessaires à là santé, tels sont la nourriture, le breuvage, le sommeil; d’autres enfin sont nécessaires à l’amitié, comme le mariage et l’acte qui lui est propre ; car c’est sur lui que repose la propagation du genre humain, pour qui les relations de l’amitié sont un bien si grand. Quant aux biens qui sont nécessaires comme moyens, celui qui n’en use pas dans le but qui leur est assigné, pèche tantôt véniellement, tantôt mortellement. Au contraire c’est bien agir que d’en user d’une manière subordonnée à leur but; ruais ne pas en user quand ils ne sont pas nécessaires, c’est agir bien mieux encore. Les désirer quand le besoin s’en fait sentir, c’est bien ; mais c’est mieux encore de ne pas en vouloir, car c’est pour nous un état plus parfait de ne pas en avoir besoin. D’où il suit qu’il est bon de se marier, parce qu’il est bon de créer des enfants, d’être mère de famille 21. Mais il est mieux de ne pas se marier, car il est mieux, pour le bien même de la société, de ne pas avoir besoin du mariage. Je m’explique ainsi, parce qu’aujourd’hui nous trouvons, non-seulement parmi ceux qui sont engagés dans le mariage, mais même parmi ceux qui s’abandonnent à des relations coupables, où le Créateur change le mal en bien, assez d’hommes à qui il accorde de nombreux enfants et de riches successions, pour qu’on puisse contracter de saintes amitiés. De là vient qu’aux premiers âges du monde, dans le but de multiplier les enfants de Dieu, de prophétiser et de préparer la naissance du Prince et du Sauveur de tous les peuples, les saints ont dû user du mariage, non pour eux-mêmes, mais pour servir d’instrument aux desseins de Dieu. Aujourd’hui que, parmi tous les peuples, on voit se former avec activité des unions toutes spirituelles, pour établir la sainte et véritable société, on ne doit pas laisser ignorer à ceux même qui n’aspirent au mariage que dans le désir d’avoir des enfants, qu’il serait mieux pour eux d’embrasser l’état plus parfait de la continence.
X. Objection contre la continence.
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Mais, dira-t-on, qu’arriverait-il si tous les hommes embrassaient la continence ? que deviendrait le genre humain ? Plût à Dieu que tous eussent ce désir, inspiré « parla charité d’un coeur pur, d’une bonne conscience, et d’une foi véritable »22 ; la cité de Dieu serait plus promptement remplie, et la fin du monde arriverait plus tôt ! N’est-ce pas là ce que désirait l’Apôtre quand il s’écriait : « Je voudrais que tous vous fussiez comme moi ? » Et ailleurs : « Voici ce que je vous dis, mes frères ; le temps est court, que ceux qui ont des [p. 112] femmes vivent comme n’en ayant point ; que ceux qui pleurent soient comme ne pleurant point, et ceux qui sont dans la joie comme n’y étant pas, que ceux qui achètent soient comme s’ils n’achetaient pas, et que ceux qui usent de ce monde soient comme n’en usant pas, car la figure de ce monde passe. Or je veux que vous soyez sans aucune sollicitude ». Plus loin il ajoute : « Celui qui n’est pas marié, ne recherche dans ses pensées que ce qui peut plaire à Dieu ; tandis que celui qui est engagé dans le mariage, s’occupe des choses du monde et cherche à plaire à sa femme. La femme mariée a le coeur partagé ; celle qui ne l’est pas, n’est préoccupée que des choses du Seigneur, pour se rendre sainte de corps et d’esprit ; tandis que celle qui est mariée se préoccupe des choses du monde et cherche à plaire à son mari ». De là je conclus qu’à l’époque où nous sommes, il n’y a que ceux qui ne peuvent vaincre l’incontinence qui doivent se marier, selon cette sentence du même Apôtre : « Ceux qui ne sont pas maîtres d’eux-mêmes, qu’ils se marient, car il vaut mieux se marier que de brûler ».
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Même pour ceux-là, le mariage n’est pas un péché ; je le dis d’une manière absolue, sans aucune pensée de comparer le mariage à la fornication et de le montrer comme un moindre péché, car tout moindre qu’il serait, ce serait toujours un péché. Qu’opposerions-nous à cette parole évidente de l’Apôtre : « Qu’il fasse comme il l’entend; en se mariant il ne pèche pas » ; et à cette autre : « En prenant une épouse, vous n’avez pas péché; et en se mariant, la vierge ne pèche pas ? »23 Après des témoignages aussi formels, il n’est plus permis de douter que le mariage soit un péché. Ce n’est donc pas le mariage sous forme de pardon que l’Apôtre permet; quelle absurdité de dire que ceux à qui l’on accorde le pardon n’ont pas péché ! Ce qu’il accorde sous forme de pardon ou d’indulgence, ce sont ces relations matrimoniales qui se font par incontinence, non pas pour le seul motif de la génération, et quelquefois même sans aucun but de créer. Le mariage, loin d’exciter ces relations nécessaires, réclame pour elles l’indulgence et le pardon; pourvu toutefois qu’elles ne se multiplient pas jusqu’à ne laisser aucun temps destiné à la prière et qu’elles ne dégénèrent pas en abus contre les lois de la nature.
C’est cet abus que l’Apôtre stigmatisait quand il parlait de l’affreuse corruption des hommes impudiques et impies24. Il n’y a de permises et de vraiment matrimoniales que les relations nécessaires pour procurer la génération. Tout ce qui se fait en dehors de cette nécessité est inspiré, non plus par la raison, mais par la passion. Et cependant, si, en ne l’exigeant pas, on se contente de rendre le devoir à l’autre époux, pour le soustraire au crime de la fornication, on fait acte de soumission conjugale. Si les deux époux sont victimes de la même concupiscence, leurs relations ne sont plus entièrement conformes aux lois du mariage. Si pourtant ils préfèrent ce qui est honnête à ce qui est déshonnête, c’est-à-dire ce qui est du mariage à ce qui n’en est pas, l’Apôtre les regarde comme dignes d’indulgence et de pardon. Ce n’est pas le mariage qui leur inspire cette conduite, mais il intercède en leur faveur, pourvu qu’ils n’éloignent pas la miséricorde divine, soit en ne se privant aucun jour pour se livrer à la prière, cette privation, comme le jeûne, donnerait du poids à leurs supplications ; soit en changeant l’ordre de la nature, ce qui devient un crime horrible pour des époux.
XI. De l’usage contre nature. Combien la virginité l’emporte sur le mariage.
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Quand l’usage du mariage se fait dans l’ordre naturel, mais en dehors de la procréation, il n’est que péché véniel pour l’épouse, mais il est péché mortel pour la concubine. Au contraire, l’usage contre nature, tout horrible qu’il est dans une concubine, le devient bien plus encore pour les époux. Tel est l’ordre établi par le Créateur et imposé à la créature dans les choses dont l’usage est permis, excéder le mode légitime est une faute beaucoup plus pardonnable qu’elle ne l’est si elle se commet dans les choses défendues, lors même que l’abus serait très-rare. Voilà pourquoi on tolère dans le mariage et dans les matières permises certaines licences immodérées, pour empêcher que la passion n’entraîne à ce qui est défendu. Ainsi, quelle que soit l’assiduité dont on obsède une épouse, on se rend par là beaucoup moins coupable qu’on ne le serait en cédant, ne fût-ce que très-rarement, à la [p. 113] fornication. Mais si l’homme veut changer à l’égard de son épouse l’ordre de la nature, cette épouse est beaucoup plus coupable de permettre ce désordre sur elle, que si elle le permettait sur une autre. L’honneur conjugal, c’est la chasteté dans la génération, et la fidélité à rendre le devoir; telle est l’oeuvre propre du mariage, oeuvre proclamée exempte de. toute faute dans ces paroles de l’Apôtre : « En prenant une épouse, vous n’avez pas péché ; la vierge en se mariant, ne pèche pas; qu’elle fasse selon ses désirs, mais en se mariant elle ne pèche pas ». Quant à exiger immodérément le devoir conjugal, l’Apôtre a dit plus haut qu’il en faisait l’objet du pardon accordé aux époux.
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« La personne qui n’est pas mariée », dit l’Apôtre, « se préoccupe de glorifier le Seigneur et de se rendre sainte de corps et d’esprit ». Mais ces paroles ne doivent pas être entendues dans ce sens, que l’épouse chrétienne, si elle observe les règles de la chasteté, ne soit pas sainte de corps. En effet, c’est à tous les fidèles qu’il a été dit : « Ignorez-vous que vos corps sont le temple de l’Esprit-Saint, que vous avez reçu de Dieu ? »25 Si donc les époux se montrent fidèles à eux-mêmes et à Dieu, leurs corps sont saints. Cette sainteté, loin d’être détruite par un époux païen, reflue de l’épouse chrétienne sur l’époux infidèle, et de l’époux chrétien sur son épouse infidèle. C’est l’Apôtre qui nous l’affirme par ces paroles : « L’homme infidèle a été sanctifié par son épousé, et la femme infidèle a été sanctifiée par notre frère »26.
Cette proposition ne fait que confirmer celle qui établit pour les vierges une sainteté plus grande que pour les épouses, sainteté qui obtiendra une récompense proportionnée à son degré de mérite. La raison en est que la virginité permet de tourner vers Dieu toutes ses pensées. En effet, la femme fidèle, tout en observant les lois de la pudeur conjugale, ne peut pas ne penser qu’au Seigneur; sa perfection est donc moindre, puisqu’elle a aussi les pensées du monde en cherchant à plaire à son mari. C’est d’elle que l’Apôtre a parlé en disant que le mariage lui impose la nécessité de penser aux choses du monde et de chercher à plaire à son époux.
XII. Peu de femmes capables de ne penser qu’à Dieu.
- Ce langage s’applique-t il à toutes les épouses indistinctement ou au moins à l’immense majorité d’entre elles ? Il est permis de l’examiner. Ces paroles relatives aux vierges : « Celle qui est vierge s’occupe des choses de Dieu et cherche à se rendre sainte de corps et d’esprit », s’appliquent à toutes les femmes non mariées; ruais n’est-il pas un certain nombre de veuves qui vivent dans les délices27 ? Si maintenant nous voulons comparer entre elles les vierges et les épouses; voici ce que nous pouvons affirmer. On ne peut trop détester cette vierge qui, renonçant au mariage, c’est-à-dire à ce qui est permis, s’abandonne au péché, a la luxure ou à l’orgueil, ou à la curiosité, on à l’intempérance du langage. De même, on ne trouve que rarement des femmes qui, au sein même des affections conjugales; ne cherchent qu’à plaire à Dieu, et prennent pour ornement non pas la recherche dans les cheveux, l’or, les perles et les vêtements précieux, mais cette belle décence qui convient aux femmes, dont la conversation est comme un parfum de piété 28. Voici ce que l’apôtre saint Pierre prescrit relativement à ces mariages : « Que les femmes obéissent à leurs maris ; est-il de ces maris qui ne croient pas à la parole divine ? faites en sorte qu’ils se laissent gagner par la vie sainte de leurs femmes, sans le secours de la parole ; qu’ils soient frappés de la pureté dans laquelle vous vivez et du respect que vous avez pour eux. Ne mettez point votre gloire à vous parer au dehors par la frisure des cheveux, par la profusion de l’or et la splendeur des vêtements. Parez plutôt l’homme invisible caché dans le coeur, par la pureté incorruptible d’un esprit plein de douceur et de paix ; c’est là le plus riche et le plus magnifique ornement aux yeux de Dieu. C’est ainsi qu’autrefois les saintes femmes qui espéraient en Dieu se paraient, restant soumises à leurs maris. Telle était Sara, qui obéissait à Abraham et l’appelait son Seigneur ; Sara, dont vous êtes devenues les filles en imitant ses oeuvres et en refoulant toute crainte inspirée par la vanité. Et vous, maris, vivez sagement avec vos femmes, les traitant avec honneur et discrétion, comme [p. 114] le sexe le plus faible, n’oubliant pas qu’elles sont, avec vous, héritières de la grâce qui donne la vie, et faites en sorte de donner un libre cours à vos prières »29. Est-ce que de tels époux ne s’occupent pas des choses du Seigneur et ne cherchent pas à lui plaire ? Mais je l’avoue, ils sont bien rares; qui pourrait le nier ? Et dans le petit nombre de ceux qui en sont là, aucun ne s’était marié dans le but d’arriver à cette perfection, ils n’y sont arrivés qu’après le mariage.
XIII. Combien est rare la pureté parfaite dans le mariage.
- Comment en effet, sous le règne de Jésus-Christ, quand ils se voient au temps, non plus d’embrasser30, mais de s’abstenir de tout embrassement, ceux qui, libres encore des liens du mariage, peuvent garder la continence, hésiteraient-ils un seul instant à s’abstenir du mariage et à choisir la continence virginale ou viduelle, plutôt que de se jeter dans la tribulation de la chair, complément inséparable du mariage selon la parole de l’Apôtre ? Nous supposons toutefois qu’aucune nécessité sociale ne les contraint de se marier. Mais voici que poussés par la concupiscence, il en est qui ont rivé sur eux les chaînes du mariage. Si alors ils triomphent des penchants de la chair, sans doute ils ne pourront plus rompre le mariage malgré la liberté où ils étaient de ne pas le contracter, mais du moins ils peuvent réaliser la perfection de cet état. Ou bien, d’un consentement mutuel, ils monteront à un degré plus élevé de la sainteté; ou bien, s’ils ne sont pas tous deux capables de cette perfection, le plus parfait des deux, sans exiger le devoir, se contentera de le rendre, en observant toutes les ; règles d’une conduite chaste et religieuse. Dans les temps anciens, quand le mystère de notre salut était encore voilé sous les figures prophétiques, ceux mêmes qui pouvaient rester continents, se mariaient dans le but de propager la race humaine; dès lors le mariage était pour eux non point une victoire de la concupiscence, mais un acte de piété. Si, comme à nous, le choix leur eût été donné; si comme à nous, il leur eût été dit : « Que celui qui peut saisir saisisse »31, pouvons-nous croire qu’ils n’auraient pas embrassé avec joie la virginité, quand nous voyons comment ils vivaient avec leurs épousés ? Chaque homme pouvait avoir plusieurs femmes; mais ils avaient avec elles des relations plus chastes, que n’en ont aujourd’hui avec une seule femme ces époux à qui l’Apôtre fait les concessions dont nous avons parlé 32. Les anciens se mariaient pour avoir une postérité et non pour satisfaire ces désirs auxquels sont en proie les nations qui ne connaissent pas le Seigneur 33. Ne dites pas que cette conduite n’a rien d’extraordinaire, car aujourd’hui pour un grand nombre de chrétiens il est plus facile de vivre dans la continence absolue, que de s’abstenir dans le mariage des relations qui n’auraient pas pour but unique de leur créer une postérité. Une multitude de nos frères des deux sexes, héritiers comme nous du royaume des cieux, se condamnent à la continence, soit après avoir fait l’épreuve du mariage, soit en conservant la virginité perpétuelle. Au contraire, parmi ceux qui sont mariés ou qui l’ont été, combien en trouvons-nous qui, dans l’intimité de la confidence, puissent nous affirmer que jamais ils n’ont- eu de relations conjugales, que dans le but ou avec l’intention d’avoir des enfants ? Donc ce que les Apôtres ordonnent aux époux, constitue la nature du mariage; ce qu’ils permettent, sous forme de pardon, ou ce qui empêche la prière, le mariage ne le commande pas, il le tolère.
XIV. De la fornication et du mariage.
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Faisons une supposition, que je crois à peine possible, ou plutôt que je ne crois pas possible. Je suppose donc qu’un homme entretienne, pour un temps, une concubine, dans le seul but d’en avoir des enfants, et je dis que, même alors, cette union serait plus coupable que le mariage dans lequel on a besoin de réclamer l’indulgence de l’Apôtre. En effet, ce qu’il faut examiner, c’est le mariage en lui-même, et non l’usage immodéré que l’on peut en faire. Qu’un homme, après s’être injustement emparé de plusieurs terres, en recueille les fruits pour en faire d’abondantes aumônes, il ne justifie point, par ce fait, l’injustice commise. De même si un avare couve en quelque sorte le bien qu’il a hérité de son [p. 115] père ou qu’il a justement acquis d’un tiers, on ne doit pas faire retomber la faute sur la loi civile qui lui a permis d’en devenir le légitime possesseur. L’iniquité d’une faction tyrannique ne deviendra pas un titre d’honneur, lors même que le tyran traiterait ses sujets avec une clémence royale; de même la puissance royale ne deviendra jamais méprisable en elle-même, par cela seul qu’un roi se rend coupable de tyrannie. Autre chose est de vouloir user justement d’une puissance injuste, autre chose d’user injustement d’une puissance juste. Si donc des concubines, entretenues temporairement, ne se proposent que la génération des enfants, elles ne rendent pas légitime leur concubinage; de même la profanation du mariage par des épouses et des époux coupables n’ôte rien à la sainteté du mariage en lui-même.
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Il est certain, toutefois, qu’un mariage criminellement formé peut devenir légitime par le redressement des volontés.
XV. Les patriarches et leurs concubines.
Dans la cité de notre Dieu, où, d’après l’union primitive de deux personnes humaines, le mariage a toujours été une sorte de sacrement, ce même mariage une fois conclu, ne peut se dissoudre que par la mort de l’un des deux époux. Le lien demeure dans toute sa force, lors même qu’une évidente stérilité empêcherait la réalisation du but pour lequel il a été formé. Dès lors, les époux qui savent d’une manière certaine qu’ils n’auront point d’enfants, ne peuvent se séparer pour cette raison et convoler à de nouvelles noces. Agir autrement, ce serait commettre l’adultère, car ils restent véritablement époux.
Chez les anciens, il était permis, du consentement de la première femme, d’en prendre une autre et les enfants qui en naissaient, étaient regardés comme des enfants communs, résultant des relations et du sang de l’un des deux époux, et du pouvoir donné par l’autre. Mais aujourd’hui ce serait un crime d’en agir ainsi; car le besoin de propagation qui existait alors, n’existe plus. Il était même permis, quoique la première femme fût féconde, d’en épouser d’autres, afin de multiplier la famille; ceci n’est plus permis. L’état des choses est aujourd’hui si différent qu’il est mieux de rester vierge, à moins qu’on n’ait besoin d’un remède à l’incontinence. Dans les premiers temps, ceux mêmes pour qui la continence était le plus facile, pouvaient, sans péché, épouser plusieurs femmes, à moins que des raisons de piété n’y missent obstacle. L’homme sage et juste, qui désire mourir et régner avec Jésus-Christ, et pour qui ce désir est le seul bonheur34, prend néanmoins de la nourriture, non pas par amour de la vie, mais par dévouement à son devoir et pour être utile à ses frères. De même les saints patriarches ne virent dans les relations avec leurs femmes qu’un devoir du mariage et non un moyen de flatter la volupté.
XVI. User du mariage comme des aliments.
- Ce que la nourriture est à la santé de l’homme, le mariage l’est à la conservation du genre humain. L’un et l’autre produisent une délectation charnelle; mais cette délectation, contenue dans certaines limites, et restreinte par la tempérance au besoin naturel, ne peut pas être appelée de la passion 35. Or ce qu’est une nourriture illicite pour soutenir la santé, la fornication et l’adultère le sont pour obtenir de la famille. Supposez maintenant une nourriture illicite, non plus pour entretenir la santé, mais uniquement pour flatter l’estomac et la gourmandise, c’est l’image d’un commerce illicite qui en flattant la passion ne cherche point la génération. Ce qu’est enfin, pour quelques-uns, l’usage excessif de nourritures permises, c’est ce que sont pour les époux les relations conjugales dignes de pardon. De même donc qu’il est mieux de se laisser mourir de faim, que de manger des viandes certainement offertes aux idoles’; de même il est mieux de mourir sans postérité que d’en chercher dans des relations coupables. Au contraire, de quelque manière que la naissance s’opère, si les enfants n’imitent pas les vices de leurs parents et s’ils servent Dieu comme il faut, ils seront honorables et sauvés. La semence de l’homme, de quelque source qu’elle découle, est l’œuvre de Dieu; en user mal, c’est se rendre coupable, mais, malgré l’abus, elle reste toujours ce qu’elle est. De même donc que l’adultère n’est nullement justifié par d’excellents enfants, qui en seraient le fruit; de même le mariage n’est nullement [p. 116] incriminé parce qu’il produit quelquefois des enfants mauvais. Nos pères du Nouveau Testament, quand, par devoir, ils prenaient leurs aliments, pouvaient éprouver la délectation naturelle de la chair, mais il faut se garder de les comparer à ceux qui mangeaient des viandes offertes aux idoles36, ou même à ceux qui mangeant. des viandes: permises les prenaient: immodérément. De même nos pères de l’Ancien Testament, en usant du mariage par devoir, éprouvaient les effets de la délectation naturelle, mais ils étaient loin. de la pousser jusqu’à la passion criminelle et déraisonnable, à plus forte raison jusqu’aux turpitudes des impudiques ou à l’intempérance de certains époux. C’est la charité qui inspire aujourd’hui de donner à Jérusalem, notre cité par excellence, des enfants spirituels; la même charité inspirait autrefois de lui en donner selon la chair; la diversité seule des temps a causé la diversité des oeuvres de nos pères. C’est ainsi que les prophètes les moins portés aux choses de la chair devaient engendrer charnellement, comme les Apôtres, qui n’avaient. plus rien de charnel, devaient se nourrir de chair.
XVII. Les époux d’aujourd’hui et ceux des temps primitifs.
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Quelque nombreux que soient aujourd’hui ceux dont il est dit : « Si la continence leur est impossible, qu’ils se marient »37, gardons-nous bien de les comparer aux saints époux d’autrefois. Il est vrai que le mariage, chez toutes les nations, n’a qu’un seul but, la génération des enfants. Ces enfants, par la suite, pourront être bons ou mauvais, mais toujours est-il que le mariage est institué pour leur donner une naissance légitime et honnête. Pour les hommes qui ne peuvent observer la continence, le mariage est en quelque sorte un degré d’élévation dans la vertu; pour ceux qui auraient pu rester continents, si les nécessités de l’époque l’avaient permis, c’est par un sentiment de piété qu’ils se sont abaissés au mariage. Pour tous indistinctement le mariage, en tant qu’il a pour but la création des enfants; a été une chose bonne; mais quant au mérite propre des personnes la différence était très-grande. En effet, dans les uns, malgré l’honnêteté du mariage, nous trouvons ce qui n’est pas de la nature du mariage et ne leur est concédé que par indulgence, je veux parler de ce qui excède les nécessités de la génération. Dans les autres, nous ne trouvons point ces excès. Que dis-je ? présentez-moi des époux, s’il en est, qui ne cherchent et ne désirent, dans le mariage, que ce pourquoi le mariage a été institué, croyez-vous que je pourrais les placer sur le même rang que les saints dont je parle ? Tous, il est vrai, désiraient des enfants, mais de nos jours, ce désir est un désir charnel, tandis qu’alors c’était un désir tout spirituel et prophétique, comme l’époque dans laquelle on vivait. Aujourd’hui quiconque est arrivé à la perfection de la piété, ne cherche plus que des enfants spirituels; taudis qu’autrefois c’était la piété elle-même qui inspirait la génération charnelle, laquelle était une annonce des événements et entrait dans le plan dès prophéties.
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Voilà pourquoi, s’il était permis à un homme d’avoir plusieurs femmes, une femme ne pouvait avoir plusieurs maris, même dans le cas de fécondité de sa part et d’impuissance de la part de son époux. Ceci repose sur une loi secrète de la nature qui cherche l’unité dans le chef; tandis que si la raison naturelle ou sociale le permet, plusieurs inférieurs peuvent, sans honte, reconnaître la direction d’un seul maître. Un seul esclave n’a pas plusieurs maîtres, tandis qu’il est dans l’ordre qu’il n’y ait qu’un seul maître pour plusieurs esclaves. De même nous ne voyons nulle part qu’une pieuse épouse ait eu deux ou plusieurs maris vivants, tandis que l’histoire nous montre des maris ayant chacun plusieurs femmes, quand les lois de la société le permettaient, ou que les besoins de l’époque l’exigeaient; un tel état de choses m’est point contraire à la nature du mariage. En effet un seul homme peut suffire à plusieurs femmes, mais une femme ne saurait suffire à plusieurs maris. Ce principe est fondamental. Ainsi Dieu a sous sa puissance toutes les âmes, car, pour elles, il n’y a qu’un seul Dieu véritable ; tandis que pour une seule âme, livrée à plusieurs faux dieux, il n’y a plus de possible que la fornication et non la génération.
XVIII. La polygamie maintenant défendue.
- Nous sommes tous. appelés à ne former qu’une seule cité, n’ayant, pour Dieu, qu’un coeur et qu’une âme 38. Après la mort, cette unité deviendra telle que les pensées les plus intimes seront perçues par tous, sans rencontrer nulle part la moindre divergence. Voilà pourquoi, sous le Nouveau Testament, le sacrement de mariage exige si rigoureusement un seul homme et une seule femme, qu’un homme qui aurait eu plusieurs femmes ne pourrait être élevé à l’épiscopat 39. Cette loi est- si formelle que plusieurs auteurs ont cru pouvoir l’appliquer au mariage contracté avant d’être chrétien, et soutiennent qu’un catéchumène ou un païen qui aurait plusieurs femmes, ne pourrait, étant devenu chrétien, arriver à l’épiscopat. On parle ici au point de vue du sacrement, et non au point de vue du péché, puisque tous les péchés sont effacés par le baptême. Celui qui a dit : .«En prenant une épouse tu n’as point péché; en se mariant une vierge ne pèche pas; quelle fasse comme elle le désire, elle ne pèche pas en se mariant 40 »; celui-là a suffisamment prouvé que le mariage n’est point un péché.
Mais considérons la sainteté du sacrement. De même qu’une femme qui aurait été souillée avant son baptême, ne pourrait, après son baptême, être consacrée parmi les vierges; de même il paraît logique de croire, que si l’on a pu, sans péché, avoir plusieurs femmes, on a cependant perdu tout droit au sacrement de l’Ordre; on a pu mener une vie irréprochable, mais on manqué d’un caractère nécessaire à l’ordination ecclésiastique. La pluralité des femmes, chez les prophètes, figurait la pluralité des Eglises, réunies toutes sous l’empire du Christ; ainsi l’évêque qui n’a eu qu’une seule femme figure l’union de tous les peuples au Christ, punique époux. Cette unité arrivera à sa perfection quand les ténèbres auront dévoilé leurs secrets, quand toutes les pensées du coeur se seront manifestées et que chacun recevra de Dieu sa louange 41. Maintenant, sans que la charité en soit blessée, il s’excite des dissensions publiques ou secrètes entre ceux qui doivent plus tard ne former qu’un dans un seul; mais alors il n’y en aura plus aucune. De même que, dans les temps anciens, la pluralité des femmes figurait la multitude soumise à Dieu, au sein de toutes les nations de la terre; de même aujourd’hui l’unité de mariage figure l’unité que nous formerons tous dans la cité céleste, sous le regard et la puissance de Dieu. Comme il est impossible de servir deux ou plusieurs maîtres; de même il n’a jamais été, il n’est pas, il ne sera jamais permis à une femme d’avoir simultanément plusieurs maris. Apostasier le culte d’un seul Dieu et se jeter dans une superstition adultère a toujours été un crime. Même dans le but de se former une postérité plus nombreuse, jamais nos saints n’ont imité le Romain Caton, qui, de son vivant, livrait sa femme à un autre pour que celui-ci en reçût des enfants. Dans le mariage chrétien, la sainteté du sacrement l’emporte sur la fécondité.
XIX. La continence chrétienne comparée à la fécondité des patriarches.
- Ainsi donc ceux mêmes qui se marient dans la vue seulement d’avoir une postérité et de réaliser: ainsi la On du mariage, ne peuvent soutenir la comparaison avec les patriarches; car ceux-ci, en demandant une famille, avaient des motifs bien plus élevés. Aussi quand Abraham reçut l’ordre d’immoler son fils, transporté soudain d’un héroïque dévouement, il n’eût pas épargné le fruit de ses plus ardents désirs, si son bras n’eût été retenu par Celui au nom de qui il l’avait levé 42.
Il nous reste à examiner si, du moins, la continence chrétienne peut être comparée à la fécondité patriarcale. Jusque-là nous n’avons rien trouvé de comparable aux patriarches ; se pourrait-il que les vierges l’emportassent sur eux ? Il est certain d’abord que le mariage, dans les patriarches, l’emportait de beaucoup sur le mariage tel qu’il doit être; il est certain aussi que ce denier est de beaucoup inférieur à la continence. Alors, comme maintenant, le but du mariage était d’avoir des enfants; car c’est le but de tout être mortel de chercher quelqu’un qui le remplace après sa mort. Dire que ce désir n’est pas bon, c’est ignorer que Dieu est le créateur de tons les biens célestes et terrestres, immortels et mortels. Les animaux eux-mêmes ne sont pas [p. 118] privés de cet instinct dans la génération, surtout les oiseaux qui mettent tant d’empressement à construire leurs nids, à former une sorte d’amitié conjugale et à nourrir leurs petits. Quant aux patriarches, en qui la chasteté, aidée de la protection du ciel, consistait, suivant certains auteurs, à produire dans le mariage des fruits jusqu’à trente pour un, ils donnaient à ce besoin de toute nature mortelle un caractère de sainteté bien plus relevé. S’ils voulaient des enfants, c’était en vue de Jésus-Christ, afin de distinguer de toutes les autres nations, la race qui devait être la sienne selon la chair. Dieu lui-même l’avait ainsi voulu, comme si la prophétie à ses yeux la plus frappante dût être celle qui signalait la race et la nation dans laquelle le Verbe devait s’incarner. Si donc le mariage des chrétiens est une oeuvre sainte, que devons-nous penser du but qu’entrevoyait Abraham dans l’acte du mariage, quand il ordonnait à son serviteur de placer la main sur son fémur et de faire un serment relatif à la femme qu’il devait procurer à son fils 43 ? En effet, que signifiait ce placement de la main, ce serment au nom du Seigneur, si ce n’est que le Seigneur du ciel viendrait un jour dans une chair qui tirerait de lui son origine ? Le mariage est donc un bien; mais les époux sont d’autant plus saints qu’ils sont plus chastes, plus fidèles et plus craignant Dieu, surtout s’ils nourrissent spirituellement les enfants qu’ils désirent charnellement.
XX. Les purifications anciennes.
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La loi prescrivait une purification après l’acte conjugal; mais on ne doit pas en conclure que cet acte soit un péché; si l’on n’en voit pas dans ce que l’Apôtre tolère avec indulgence, quoique trop répéter cette sorte d’actes soit un obstacle à la prière. On sait qu’en beaucoup de points la loi n’était qu’une ombre et une figure. Ainsi la semence encore informe qui doit former le corps de l’homme, devait signifier une vie informe et grossière; cette grossièreté de la vie, pour disparaître, a besoin de la doctrine et de l’enseignement; c’est ce que symbolisait la loi de la purification obligatoire après toute émission de la semence. L’émission qui se produit durant le sommeil n’est pas un péché; cependant elle devait être suivie aussi de la purification. Il est vrai que certains auteurs y voient un péché, prétendant qu’elle est toujours le résultat d’un désir coupable. Mais c’est là une erreur. Du moins on ne peut voir un péché dans les règles mensuelles de la femme; néanmoins la loi ancienne les faisait suivre encore d’une expiation 44 ; sans doute parce qu’il y a là aussi la matière difforme d’où résulte le développement du corps. Quand donc a lieu cette émission de matière informe, la loi y considère l’image d’un coeur qui se répand et se dissipe sans honneur et sans frein. La purification, à son tour, figure clairement la nécessité de comprimer les élans de ce coeur. Enfin, est-ce donc un péché de mourir, et n’est-ce pas un acte d’humanité d’ensevelir les morts ? Cependant, même alors, la purification était obligatoire 45. Non, le corps privé de vie n’est pas un péché; mais il symbolise parfaitement l’état d’une âme dépouillée de la justice.
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Je conclus donc que le mariage est chose bonne, et que l’on peut aisément le justifier de toutes les calomnies. Et si l’on veut parler du mariage des saints patriarches, je demande, non pas quel mariage, mais quelle continence peut lui être comparée. Mais il est inutile de comparer mariage à mariage, puisque partout le mariage est un don d’égale valeur accordé à la nature encore sujette à la mort; il s’agit de comparer des hommes qui usent du mariage, avec d’autres hommes qui en ont usé bien différemment; et comme je ne trouve personne, parmi les derniers, que je puisse comparer aux premiers, je dois chercher des termes de comparaison parmi ceux qui ont observé la continence. Oserait-on dire qu’Abraham n’a pu conserver la continence en vue du royaume des cieux, lui qui, pour arriver à ce royaume, n’hésita pas un seul instant à immoler son fils unique, le seul objet pour lequel le mariage lui était devenu cher ?
XXI. La continence comme habitude et comme acte.
- La continence est une vertu, non pas du corps mais du cœur. Or quelquefois les vertus du cœur se traduisent en actes, quelquefois elles restent à l’état caché de simples habitudes. La vertu du martyre, par exemple, parait avec éclat et se manifeste en face des souffrances [p. 119] à supporter ; mais combien de martyrs de volonté, à qui, pour le devenir réellement, il ne manque que l’épreuve qui leur permettrait de produire aux yeux des hommes ce qui en eux n’est connu que de Dieu, et de manifester au dehors ce qui existe réellement dans leur coeur ! Job, avant son épreuve, possédait la patience aux yeux de Dieu, qui lui rendait ce témoignage; mais il fallut l’épreuve pour révéler cette patience aux hommes 46. L’épreuve arriva, et cette vertu jusque-là cachée dans son âme, se manifesta extérieurement, mais elle existait déjà. De même saint Timothée possédait la vertu de tempérance, et saint Paul ne la lui ravit pas en lui conseillant d’user d’un peu de vin à cause de son estomac et des défaillances qu’il éprouvait fréquemment 47 . Autrement, t’eût été un pernicieux conseil; t’eût été l’intéresser à la santé de son corps, au détriment de la vertu de son âme. Mais comme cette vertu pouvait très-bien se concilier avec l’invitation qui lui était adressée, Timothée put soulager son corps en prenant du vin, et conserver dans son âme la vertu de tempérance.
En général on entend par habitude ce qui nous permet d’agir, quand il en est besoin. Lors même que nous n’agissons pas, nous conservons le pouvoir d’agir. En appliquant ces principes à la continence charnelle, nous pouvons affirmer que cette habitude n’est point en ceux dont il est dit: « S’ils ne peuvent se contenir, qu’ils se marient »48. Mais elle est le privilège de ceux dont il est dit: « Que celui qui peut saisir saisisse 49». C’est ainsi que, guidées par cette habitude de la continence, les âmes parfaites ont toujours usé des biens terrestres, quand ces biens étaient nécessaires pour obtenir un but ultérieur ; elles en usaient sans attache , et tout en conservant le pouvoir de ne pas en user, quand aucun besoin ne les y contraignait. Pour bien user de ces biens terrestres, il faut pouvoir ne pas en user. En effet, pour un grand nombre, il est plus facile de ne pas jouir que de jouir avec modération; d’où il suit que pour pouvoir user sagement, il faut que l’on puisse s’interdire l’usage même. Saint Paul faisait allusion à ce principe quand il disait: «Je sais être dans l’abondance et dans la privation »50. Se trouver dans la détresse c’est le sort commun à tous les hommes; mais c’est le propre des grandes âmes de savoir la supporter. De même, tous peuvent jouir de l’abondance; mais savoir en jouir, cela n’appartient qu’à ceux qui ne se laissent pas corrompre par elle.
- Afin de montrer plus clairement encore que la vertu peut exister comme habitude sans se traduire en actes, j’invoque un exemple hors de doute pour des catholiques, celui de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Que dans la chair réelle dont il était revêtu, il ait eu faim et soif, qu’il ait mangé et bu, c’est un point sur lequel l’Evangile ne nous permet pas d’hésiter un seul instant. Conclura-t-on delà qu’il n’avait pas, au même degré que saint Jean-Baptiste, la vertu de tempérance ? « Jean est venu ne mangeant ni ne buvant, et ils ont dit: Il est possédé du démon; le Fils de l’homme est venu mangeant et buvant, et ils ont dit : Celui-ci est un homme vorace et un ivrogne, l’ami des publicains et des pécheurs ». Ne dit-on pas de nos pères ses serviteurs; de leur manière d’agir et de parler au sujet du mariage : Voilà des hommes passionnés et impurs, amis des femmes et de la volupté ? Le reproche fait à Jésus-Christ n’était qu’une honteuse calomnie, quoiqu’il fût vrai qu’il ne portât pas la mortification extérieure aussi loin que saint Jean, c’est lui-même qui nous le déclare : « Jean est venu, a dit-il, ne mangeant ni ne buvant; et le Fils de l’homme est venu, mangeant et buvant » ; de même les accusations portées contre nos pères étaient d’une fausseté évidente. Ici c’est d’un Apôtre vierge que les païens disent : Il a les secrets de la magie; là c’est un prophète du Christ, vivant dans l’état du mariage et ayant des enfants, et les Manichéens s’écrient : c’est un voluptueux.
« Mais la sagesse a été justifiée par ses enfants »51. Ces paroles du Sauveur suivent immédiatement celles où il est question de saint Jean et de lui-même. « La sagesse a été justifiée par ses enfants » ; car ils savent que la vertu de continence doit toujours exister, en tant qu’habitude, tandis que pour se traduire en acte, elle a besoin de circonstances et d’occasions favorables. Dans les martyrs la vertu de patience s’est manifestée par les oeuvres, tandis que dans les autres saints elle est restée à l’état de disposition intérieure. De même donc que le mérite de la patience n’est [p. 120] pas plus grand en saint Pierre, qui a été martyrisé, qu’en saint Jean qui n’a pas subi le martyre ; de même le mérite de la continence, dans saint Jean qui est resté vierge, n’est pas plus grand que dans Abraham qui a engendré des enfants. Car le célibat de saint Jean et le mariage d’Abraham, eu égard à la différence des temps, ont tourné à la gloire de Jésus-Christ; et cependant la continence dans le premier se produisit en action, et le second ne la posséda que comme habitude.
XXII. La continence avant et depuis Jésus-Christ.
- Il est donc certain que, sous l’ancienne loi, qui suivit l’ère des patriarches, quand la malédiction avait été portée contre ceux qui restaient sans postérité en Israël52, celui qui ne pouvait garder la continence ne le montrait pas, tout en possédant ce pouvoir. Mais depuis que la plénitude des temps est accomplie53, depuis qu’il a été dit: « Que celui-là comprenne, qui peut comprendre », désormais et jusqu’à la fin du monde, celui qui en a le pouvoir agit en conséquence; mais que celui qui ne veut pas user de ce pouvoir, ne doit pas dire faussement qu’il le possède.
Cependant c’est sous ce règne de Jésus-Christ que nous voyons des hérétiques corrompre les bonnes moeurs par des discours mauvais54, faire appel à une ruse aussi vaine que téméraire et dire au chrétien qui veut garder la continence et refuse le mariage: Es-tu donc meilleur qu’Abraham ? Qu’à ces paroles le chrétien ne se trouble pas ; qu’il évite de répondre qu’il se croit meilleur, mais qu’il ne renonce pas à sa résolution ; car autant sa réponse serait fausse, autant son action serait blâmable. Qu’il se contente de dire: Il est vrai que je ne suis pas meilleur qu’Abraham, mais je sais aussi que la chasteté virginale l’emporte sur la chasteté conjugale. Dans ses oeuvres Abraham n’avait que la dernière, mais dans son coeur il les avait toutes les deux. Car sa vie conjugale fut extrêmement chaste; il aurait pu conserver la chasteté virginale, mais les circonstances s’y opposaient. Quant à moi, il m’est plus facile de renoncer au mariage dont usa Abraham, que d’user du mariage comme il en usa. Voilà pourquoi, si je suis meilleur que ceux qui, vu l’incontinence de leur coeur, ne peuvent pas ce que je puis; je ne vaux pas mieux que ceux qui, à raison de la différence des temps, n’ont pas fait ce que je fais. Car ce que je fais aujourd’hui ils l’auraient mieux fait que moi, si le temps en eût été venu ; et ce qu’ils ont fait, je ne le ferais pas aussi bien, s’il me fallait le faire.
Toutefois se rencontre-t-il quelqu’un qui se sente et se connaisse assez pour conserver intacte dans son coeur la vertu de continence, si pour accomplir un devoir de religion il était contraint d’entrer dans le mariage, et pour être père et mari comme l’était Abraham ? A cette demande captieuse qui lui est faite, qu’il ne craigne pas de répondre: Il est vrai, je ne suis pas meilleur qu’Abraham, même sous le rapport de la continence qu’il possédait réellement quoiqu’invisiblement, mais je puis lui être comparé puisque je possède la même vertu tout en menant un autre genre de vie. Qu’il tienne hardiment ce langage; car en y glorifiant le don qui lui est fait, il n’est point insensé puisqu’il dit la vérité. Si néanmoins il prend des ménagements, de crainte qu’on n’ait de lui une estime exagérée 55, qu’il évite de se mettre lui-même en jeu, qu’il parle, non pas de la personne mais de la chose même, et qu’il affirme qu’on ressemble à Abraham, quand on peut ce qu’il a pu. Mais il peut se faire que la vertu de continence se trouve à un moindre degré dans l’âme de celui qui n’use pas du mariage que dans Abraham qui en a usé ; je ne crains cependant pas d’ajouter que cette continence est encore plus grande cri lui qu’elle ne l’est dans celui qui s’est résigné à la chasteté conjugale, parce qu’il ne pouvait en faire davantage.
A son tour, que la vierge qui rapporte toutes ses pensées a Dieu, afin de se rendre sainte de corps et d’esprit56, quand elle s’entendra faire cette impudente question : « Es-tu donc meilleure que Sara ? » réponde sans crainte: Je suis meilleure que celles qui n’ont pas ma vertu de continence, mais je ne crois pas que Sara soit de ce nombre, car avec cette vertu elle a agi comme l’exigeait son époque. Quant à moi je ne suis pas soumise à cette nécessité, et je puis réaliser dans mon corps la vertu. qu’elle ne conservait que dans son coeur. [p. 121]
XXIII. La continence et la chasteté conjugale.
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En comparant ces vertus l’une à l’autre, il est évident que la chasteté virginale l’emporte sur la chasteté conjugale, quoique toutes deux soient bonnes en elles-mêmes. Mais si nous comparons les hommes entre eux, le meilleur sera celui qui possède, le bien le plus excellent. Or celui qui, dans le même genre, possède plus, possède aussi moins; tandis que la réciproque ne peut pas être vraie. Dans le nombre soixante se trouve le nombre trente, tandis qu’il est faux de dire que trente renferme soixante : de même dans l’accomplissement des devoirs on peut ne pas faire les actes de telle vertu que pourtant l’on possède; par exemple on peut avoir la vertu de miséricorde et ne rencontrer aucun malheureux à qui l’on puisse faire l’aumône.
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De là il suit que c’est à tort que l’on voudrait comparer les hommes les uns aux autres, en ne se plaçant qu’à un seul point de vue. Car il peut se faire que l’un possède ce que l’autre n’a pas, mais qu’il remplace par un bien plus excellent. Ainsi l’obéissance est assurément supérieure à la continence. En effet, nous ne trouvons nulle part, dans les saintes Ecritures, de condamnation portée contre le mariage; tandis que la désobéissance y est partout sévèrement condamnée. Si donc vous me présentez une personne engagée dans la virginité perpétuelle, mais désobéissante, et une autre qui , engagée dans le mariage parce qu’elle n’a pu rester vierge, se montre toujours d’une obéissance parfaite, à laquelle des deux donneriez-vous la préférence ? Est-ce à celle qui mérite moins de louanges, que si elle était vierge, ou à celle que l’Ecriture condamne, toute vierge qu’elle soit ? De même si vous comparez une vierge intempérante à une épouse. parfaitement sobre, hésiterez-vous à porter un jugement semblable ? Le mariage et la virginité sont deux biens dont l’un l’emporte sur l’autre; la sobriété et l’obéissance sont également des biens réels, tandis que l’intempérance et la désobéissance sont des maux véritables. Or il est mieux de posséder tous les biens, ou des biens inférieurs, que d’unir un grand mal à un grand bien; mieux vaut n’avoir que la taille de Zachée avec une bonne santé, que d’être malade avec la taille de Goliath.
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Mais au lieu de comparer une vierge, de tous points désobéissante, à une épouse obéissante, supposons uniquement que la vierge est moins obéissante que l’épouse, sans oublier que celle-ci n’a que la chasteté conjugale, par elle-même bien inférieure à la chasteté virginale. Je suppose donc qu’il y a d’autant moins d’obéissance qu’il y a plus de chasteté et réciproquement, sans oublier qu’avant d’établir une comparaison entre l’une et l’autre, il demeure bien certain que l’obéissance est la. mère de toutes les vertus. D’où il suit que l’obéissance peut exister sans la virginité, puisque la virginité n’est que de conseil et non de précepte, et , quand je parle d’obéissance, j’entends l’obéissance à l’égard des préceptes. C’est dire clairement que si l’obéissance peut. exister sans la virginité, elle est absolument inséparable de la chasteté. En effet c’est le propre de la chasteté de résister à la fornication, à l’adultère, à toute passion illicite ; autrement , on viole les préceptes divins et on renonce à l’obéissance. Au contraire, la virginité peut exister sans l’obéissance, car une femme, toute résolue qu’elle est de conserver la virginité, peut désobéir et violer les commandements. Ne connaissons-nous pas un grand nombre de vierges, coupables de loquacité, de curiosité, d’intempérance, d’avarice, d’orgueil, et semant la discorde ? Or il y a là violation formelle d’autant de préceptes, et autant d’actes de désobéissance ;qui donnent la mort, comme ils l’ont donnée à la première femme. Ainsi, non-seulement je préfère une épouse obéissante à une vierge qui ne l’est pas ; je mets encore une épouse plus obéissante au-dessus d’une vierge qui l’est moins.
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C’est en vertu de l’obéissance qu’Abraham, à la fois époux et père, accepta d’immoler lui-même son. fils unique ; quand sur lui seul reposait l’accomplissement de cette promesse: « Je te susciterai une race en Isaac »57. Avec quel empressement, plus vif encore, il eût embrassé la virginité, si Dieu la lui eût demandée ! Comment, dès lors, ne pas nous étonner de rencontrer des chrétiens de l’un et de l’autre sexe, qui, après avoir embrassé la continence absolue, n’obéissent qu’avec une coupable négligence aux préceptes, et montrent tant d’ardeur à se refuser ce qui leur est permis ? Comment ne pas voir que c’est [p. 122] une profonde erreur de vouloir comparer ces pères et ces mères des temps primitifs, avec les hommes et les femmes de notre époque qui vivent sans doute dans la virginité, mais qui sont moins obéissants ; lors même que les patriarches n’auraient pas été intérieurement disposés à faire ce que font extérieurement ceux-ci ? Si donc, il leur est un jour donné de suivre l’Agneau en chantant le cantique nouveau selon cette parole de l’Apocalypse: « Ceux-là suivent l’Agneau, qui n’ont jamais connu de femmes »58 ; le seul mérite qu’ils auront à présenter, ce sera d’être restés vierges. Toutefois qu’ils se gardent bien de se préférer aux saints patriarches qui ont usé chastement du mariage. Nous l’avons dit, tout ce qui, dans l’usage du mariage, se fait en dehors des exigences de la génération, est toujours une souillure, ne fût-elle que vénielle ; autrement, s’il n’y avait aucune faute, pourquoi le pardon que promet l’Apôtre ? Or, je dis que si les enfants qui suivent l’Agneau n’avaient pas persévéré dans la virginité, je m’étonnerais beaucoup qu’ils fussent innocents de ces souillures.
XXIV. Trois sortes d’avantages dans le mariage des chrétiens.
- Parmi toutes les nations et aux yeux de tous les hommes, le désir d’une postérité et la fidélité conjugale impriment au mariage un caractère de bonté réelle. Chez les chrétiens, il faut y ajouter la sainteté du sacrement qui défend à une épouse répudiée de convoler à de nouvelles noces, pendant la vie de son premier mari, lors même qu’elle n’aspirerait à un nouveau mariage que dans le but d’avoir des enfants. Ce but, en effet, est le seul que l’on doive se proposer dans le mariage. Supposé qu’il ne puisse être obtenu, le lien nuptial n’est pas brisé pour ce seul motif, il ne peut l’être que par la mort de l’un des deux époux. On ordonne un clerc pour diriger une réunion de fidèles ; supposé que cette réunion n’ait pas lieu, le sacrement de l’ordre reste validement conféré. Bien plus, lors même qu’en punition de quelque faute ce clerc mériterait d’être interdit des fonctions de son ordre, il conserve toujours le caractère du sacrement et il le portera au jugement dernier.
Que la génération soit le but du mariage, c’est ce qui résulte de ces paroles de l’Apôtre : « Je veux que les jeunes veuves se marient »; puis supposant qu’on lui demande pourquoi, il continue : « Afin de créer des enfants et de devenir mères de famille »59. Quant à la fidélité conjugale, il s’exprime ainsi : .« L’épouse n’a pas la puissance sur son propre corps, cette puissance appartient au mari ; de même l’époux n’a pas la puissance sur son propre corps, cette puissance appartient à la femme ». Parlant enfin de la sainteté du sacrement, il s’écrie : « Que l’épouse ne se sépare point de son mari ; si elle s’en sépare, qu’elle s’interdise tout nouveau mariage , ou qu’elle se réconcilie avec son époux. De même, que le mari ne renvoie point sa femme ». Tels sont donc les biens qui impriment au mariage tout autant de caractères de bonté : les enfants, la fidélité, le sacrement.
Toutefois, depuis Jésus-Christ, il est plus parfait de renoncer à cette postérité charnelle, de conserver la virginité perpétuelle et de n’avoir d’autre époux que Jésus-Christ; pourvu néanmoins que ce soit dans le dessein de fixer toutes ses pensées en Dieu, de ne chercher à plaire qu’à lui seul 60, en d’autres termes, de chercher constamment à ne pratiquer pas moins l’obéissance que la continence. Cette obéissance a été la vertu radicale, et comme la vertu mère des saints patriarches. Quant à la continence elle n’était en eux que comme habitude de l’âme. Or, je dis que cette obéissance qui les rendait justes et saints, qui les disposait à toute sorte de bonnes oeuvres, les eût aussi rendus et conservés vierges, s’il leur avait été prescrit de s’interdire tout commerce avec une femme. En effet, admettez un ordre ou un conseil qui les appelle à la virginité, ne leur était-il pas plus facile d’y répondre que de se montrer prêts, par obéissance, à immoler le seul enfant qui avait été le but de leur mariage ?
XXV. Les patriarches vengés des calomnies manichéennes.
- Viennent donc les hérétiques, manichéens ou autres, déversant sur les patriarches [p. 123] de l’Ancien Testament d’injustes calomnies au sujet de leurs femmes et les accusant d’incontinence. Je crois, dans ce qui précède, leur avoir suffisamment répondu. Mais sont-ils capables de comprendre qu’ils n’ont péché: ni contre la nature, puisque ce n’était point par libertinage mais pour avoir des enfants qu’ils usaient de leurs femmes; ni contre les usages reçus, puisqu’ils ne faisaient que suivre la coutume de leur temps; ni contre aucun précepte, car alors aucune loi ne leur défendait d’agir comme ils l’ont fait ? Quant à ceux qui ont illicitement usé des femmes, ou bien l’Ecriture a répandu sur eux un blâme solennel, ou bien en nous proposant leurs fautes à lire, l’Esprit-Saint veut que nous les condamnions, que nous évitions leurs désordres, au lieu de les approuver ou de les imiter.
XXVI. Respect du aux saints patriarches. Joindre l’humilité a la virginité.
- De toutes nos forces donc nous invitons les époux chrétiens à ne pas juger les saints patriarches selon leur propre faiblesse, ne se jugeant que d’après eux-mêmes, comme s’exprime l’Apôtre 61 ; comprenez plutôt quelle force d’âme il leur fallait déployer pour ne céder en rien à leurs passions, pour résister aux mouvements de la chair, pour se conserver dans les justes limites de la génération, autant que l’exigeaient l’ordre de la nature, les moeurs de leur époque et les lois divines. D’où peuvent donc venir ces soupçons désavantageux, si ce n’est, ou bien de l’incontinence qui rend le mariage nécessaire, ou bien de l’usage immodéré du. mariage lui-même ?
Quant à ceux qui gardent la continence, quant aux maris qui, après la mort de leur femme, aux femmes qui, après la mort de leur mari, ou enfin quant aux époux qui, l’un et l’autre et d’un consentement réciproque, ont voué la continence, ils n’ignorent pas sans doute qu’ils ont droit à une plus belle récompense que celle qu’ils auraient obtenue par la chasteté conjugale. Cependant loin de mépriser intérieurement, qu’ils regardent, comme bien supérieur à leur propre continence, le mariage de ces patriarches, dont l’union était toute prophétique, qui ne cherchaient dans cette union que la postérité, et qui dans cette postérité même ne voyaient qu’un moyen de faciliter et de hâter la venue du Sauveur.
- Nous rappelons également aux vierges des deux sexes qui vouent à Dieu leur intégrité, de chercher, pour le trésor qu’ils conservent sur la terre, une protection efficace dans une humilité d’autant plus profonde, que ce qu’ils ont voué est plus élevé et plus divin. N’est-il pas écrit : « Plus vous êtes grand, plus vous devez en tout vous humilier ? »62 C’est à nous d’exalter leur glorieux privilège, c’est à eux de s’appuyer sur une humilité profonde. Nous avons parlé de certaines grandes figures patriarcales, auxquelles les vierges mêmes ne peuvent se préférer parce que, si ces vierges étaient mariées, elles n’auraient point porté aussi haut la vertu. Cependant lors même qu’à la suite d’un premier mariage les époux de notre temps auraient voué la continence, les vierges n’hésitent pas un seul instant à regarder leur état comme l’emportant sur le leur, non pas autant que Susanne l’emporte sur Anne, mais autant que Marie l’emporte sur ces dernières. Je ne parle ici que de la sainte intégrité de la chair ; car de qui sont ignorés les autres mérites de Marie ?
Que leur vie réponde donc à leur haute vocation, et ils seront assurés de la brillante récompense qui les attend ; qu’ils n’oublient pas que si, entre eux et tous les fidèles, ces membres élus et bien-aimés du corps de Jésus-Christ qui viendront en grand nombre de l’Orient et de l’Occident, il doit y avoir une différence de gloire, proportionnée aux mérites, néanmoins ils prendront également place dans le royaume de Dieu avec Abraham, Isaac et Jacob 63, lesquels sont devenus époux et pères non pour suivre les penchants du siècle, mais en vue du Christ.
-
Gn II, 21, 22. ↩
-
Gn 1, 28. ↩
-
Ps 87, 3. ↩
-
Sg 2, 24. ↩
-
1Th 4, 16. ↩
-
Dt 24, 5. ↩
-
Mt 19, 9. ↩
-
Jn 2, 2. ↩
-
1Co 7, 4. ↩
-
1Co 7, 4-6. ↩
-
Mt 5, 32. ↩
-
1Co 7, 10-11. ↩
-
Ps. 40, 7. ↩
-
Dt 24, 1 ; Mt 19, 8. ↩
-
He 13, 4. ↩
-
Ep 5, 12. ↩
-
1Co 13, 8. ↩
-
Lc 10, 39-42. ↩
-
Dn 13. ↩
-
Lc 1, 27 ; 2, 36-37. ↩
-
1Tm 5, 14. ↩
-
1Tm 1, 5. ↩
-
1Co 7, 28-36. ↩
-
Rm 1, 26, 27. ↩
-
1Co 6, 19. ↩
-
1Co 7, 14. ↩
-
1Tm 5, 6. ↩
-
1Tm 2, 9-10. ↩
-
1P 3, 1-7. ↩
-
Eccl. 3, 5. ↩
-
Mt 19, 12. ↩
-
1Co 7, 6. ↩
-
1Th 4, 5. ↩
-
Ph 1, 23. ↩
-
Voir Rétr. II, ch. XXII, n. 2. ↩
-
1Co 8, 7. ↩
-
1Co 7, 9. ↩
-
Ac 4, 32. ↩
-
1Tm 3, 2 ; Tt. 1, 6. ↩
-
1Co 7, 28-36. ↩
-
1Co 4, 5. ↩
-
Gn 22, 12. ↩
-
Gn 24, 2-4. ↩
-
Lv 15. ↩
-
Nb 19, 11. ↩
-
Jb 1. ↩
-
Tim 5, 23. ↩
-
1Co 7, 9. ↩
-
Mt 19, 12. ↩
-
Ph 4, 12. ↩
-
Mt 11, 18-19. ↩
-
Dt 25, 5-10. ↩
-
Ga 4, 4. ↩
-
1Co 15, 33. ↩
-
1Co 12, 6. ↩
-
1Co 7, 33. ↩
-
Gn 21, 12. ↩
-
Ap 14, 4. ↩
-
1Tim 5, 14. ↩
-
1Co 7, 4.10-11.32. ↩
-
1Co 10, 12. ↩
-
Ecc 3, 20. ↩
-
Mt 8, 11. ↩