Le « Traité de la prédication » de Saint François de Sales
Ce qu’on semble surnommer le Traité de la prédication de Saint François de Sales est en fait sa lettre à Mgr Frémyot, archevêque de Bourges de 1604, ici mise au propre pour en faciliter la lecture.
Saint François de Sales — Traité de la Prédication (1604)
- Avis sur la vraie manière de prêcher.
- I — Des qualités du prédicateur.
- A — De la mission que doivent avoir les prédicateurs.
- B — De la capacité du prédicateur
- C — De la vie exemplaire des prédicateurs.
- D — La célébration de la messe doit précéder ou suivre la prédication, ou du moins la confession précéder.
- II — De la fin que doit se proposer le prédicateur.
- A — De la fin en général.
- B — De la fin du prédicateur.
- C — Des moyens que le prédicateur doit employer pour parvenir a sa fin.
- III — De la matière de la prédication.
- A — de l’écriture sainte.
- B — Comment il faut traiter chacune des parties de la matière dont nous venons de parler.
- IV — De la disposition de la matière, ou de la méthode qu’il faut garder pour traiter chaque sujet.
- A — Avant-propos : de la méthode en général, et des diverses espèces qui se traitent dans la chaire.
- B — De la manière de traiter les mystères.
- C — Comment il faut prêcher sur un texte ou une maxime de l’écriture sainte.
- D — De l’homélie, ou comment il faut expliquer l’évangile.
- E — Méthodes pour les éloges des saints.
- F — De l’ordre qu’il faut garder dans les preuves.
- G — Que le commencement du sermon doit instruire, et la fin toucher l’auditeur.
- H — Moyens faciles pour remplir tous les points d’un sermon.
- I — Des auteurs ou l’on peut trouver des matériaux pour les sermons.
- V — De la forme de la prédication, ou comment il faut prêcher.
- A — Ce qu’il faut éviter et pratiquer en général.
- B — Des qualités de l’action en particulier.
- C — De la qualité du style et de la composition.
- D — Règles a observer sur les complimens et la flatterie.
- E — De la fin du sermon, de la péroraison, et des exclamations.
- F — Respect que l’on doit avoir pour la parole de dieu ; comment on doit se préparer a la prédication.
- G — Comment il faut ménager l’auditeur.
- H — Ce que c’est que la prédication.
- Suite et conclusion de la lettre.
Avis que donne S. François de Sales à Mgr l’archevêque de Bourges, sur la vraie manière de prêcher
Monseigneur,
Il n’est rien d’impossible à l’amour : je ne suis qu’un chétif et un malotru prédicateur, et il me fait entreprendre de vous dire mon avis de la vraie façon de prêcher. Je ne sais si c’est l’amour que vous me portez qui tire cette eau de la pierre, ou si c’est celui que je vous porte qui fait sortir des roses de l’épine. Permettez-moi ce mot d’amour, car je parle à la chrétienne ; et ne trouvez pas étrange que je vous promette des eaux et des roses, car ce sont des épithètes qui conviennent à toute doctrine catholique, pour mal agencée qu’elle soit. Je vais commencer : Dieu y veuille mettre sa main !
Avis sur la vraie manière de prêcher.
Préambule et division. Pour parler avec ordre, je considère la prédication en ses quatre causes, l’efficiente, la finale, la matérielle et la formelle ; c’est-à-dire, qui doit prêcher, pour quelle fin on doit prêcher, que c’est que l’on doit prêcher, et la façon avec laquelle on doit prêcher.
I — Des qualités du prédicateur.
Nul ne doit prêcher qu’il n’ait trois conditions, une bonne vie, une bonne doctrine, une légitime mission.
A — De la mission que doivent avoir les prédicateurs.
Je ne dis rien de la mission ou vocation ; seulement je remarque que les évêques ont non seulement la mission ; mais ils en ont les sources ministérielles, et les autres prédicateurs n’en ont que les ruisseaux. C’est leur première et grande charge ; on le leur dit en les consacrant. Ils reçoivent à cet effet une grâce spéciale en la consécration, laquelle ils doivent rendre fructueuse1.
S. Paul en cette qualité s’écrie : Malheur à moi si je n’évangélise pas (1Co 9, 16) ! Le concile de Trente : C’est, dit-il, le principal devoir de l’évêque, que de prêcher2. Cette considération nous doit donner courage ; car Dieu en cet exercice nous assiste spécialement ; et c’est merveille combien la prédication des évêques a un grand pouvoir au prix de celle des autres prédicateurs. Pour abondants que soient les ruisseaux, on se plait de boire à la source.
B — De la capacité du prédicateur
Quant à la doctrine, il faut qu’elle soit suffisante, et n’est pas requis qu’elle soit excellente.
S. François n’étoit pas docte, et néanmoins grand et bon prédicateur ; et, en notre âge, le B. cardinal Borromée n’avoit de science que bien médiocrement, toutefois il faisoit merveille. J’en sais cent exemples. Un grand homme de lettres (qui est Érasme) a dit que le meilleur moyen d’apprendre et devenir savant, c’est d’enseigner : en prêchant on devient prédicateur. Je veux seulement dire ce mot : le prédicateur sait toujours assez, quand il ne veut pas paraître de savoir plus que ce qu’il sait.
Ne saurions-nous bien parler du mystère de la Trinité, n’en disons rien. Ne sommes-nous pas assez versés pour expliquer l’In principio de S. Jean, laissons-le là. Il ne manque pas d’autres matières plus utiles ; il n’est pas question qu’on fasse tout.
C — De la vie exemplaire des prédicateurs.
1 — La bonne vie également nécessaire à l’évêque et au prédicateur.
Quant à la bonne vie, elle est nécessaire en la façon que dit S. Paul de l’évêque, et non plus ; de façon qu’il n’est pas besoin que nous soyons meilleurs pour être prédicateurs que pour être évêques. C’est donc déjà autant de fait : Oportet, dit, S. Paul, episcopum esse irreprehensibilem (1Tm 3, 2 : « Il faut que l’évêque soit irrépréhensible »).
2 — Quels défauts et quelles fautes ils doivent éviter.
Mais je remarque que non seulement il faut que l’évêque et le prédicateur ne soient pas vicieux de péchés mortels, mais de plus qu’ils évitent certains péchés véniels, voire même certaines actions qui ne sont point péchés. S. Bernard, notre docteur, dit ce mot : Nugœ saecularium sunt blasphemiae clericorum (Les mêmes choses qui, dans les laïques, ne sont que des bagatelles, sont des blasphèmes dans les ecclésiastiques). Un séculier peut jouer, aller à la chasse, sortir de nuit pour aller aux conversations ; tout cela n’est point répréhensible, et, fait par récréation, n’est nullement péché. Mais en un évêque, en un prédicateur, si ces actions ne sont assaisonnées de cent mille circonstances, qui malaisément se peuvent rencontrer, ce sont scandales et grands scandales. On dit : Ils ont bon temps, ils s’en donnent à cœur joie. Allez après cela prêcher la mortification, on se moquera du prêcheur.
3 — Des récréations permises.
Je ne dis pas qu’on ne puisse jouer à quelques jeux bien honnêtes une fois ou deux le mois par récréation : mais que ce soit avec une grande circonspection.
4 — De la chasse et des dépenses superflues.
La chasse est interdite du tout : j’en dis de même des dépenses superflues en festins, en habits, en livres ; es évêques ce sont de grands péchés, S. Bernard nous instruit disant : Clamant pauperes post nos : Nostrum est quod expenditis ; nobis crudeliter eripitur quidquid inaniter expenditur (Les pauvres crient après nous : Ce que vous dépensez nous appartient, et tout ce qui est employé inutilement nous est cruellement arraché). Comment reprendrons-nous les superfluités du monde, si nous faisons paraître les nôtres.
5 — Des festins en particulier, et de l’hospitalité.
S. Paul dit : Oportet episcopum esse hospitalem (2Tm 3, 2 : « Il faut que l’évêque exerce l’hospitalité »). L’hospitalité ne consiste pas à faire des festins, mais à recevoir volontiers les personnes à table, telle que les évêques la doivent avoir, et que le concile de Trente détermine : Oportet mensam episcoporum esse frugalem (Il faut que la table de l’évêque soit frugale). J’excepte certaines occasions que la prudence, et la charité savent bien discerner.
D — La célébration de la messe doit précéder ou suivre la prédication, ou du moins la confession précéder.
Au demeurant on ne doit jamais prêcher sans avoir célébré la messe, ou la vouloir célébrer. Il n’est pas croyable, dit S. Chrysostome, combien la bouche qui a reçu le S. Sacrement est horrible aux démons. Et il est vrai ; il semble qu’on puisse dire après S. Paul : An experimentum quaeritis ejus, qui loquitur in me Christus (2Co 13, 3 : « Est-ce que vous voulez éprouver la puissance de Jésus-Christ, qui parle par ma bouche ? ») ? On a beaucoup plus d’assurance, d’ardeur et de lumière. (Quamdiu sum in mundo, dit le Sauveur, lux sum mundi (Jn 8, 5 : « Tant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde »). Chose certaine, que notre Seigneur étant en nous réellement, il nous donne clarté ; car il est la lumière. Aussi les disciples d’Emmaus ayant communié eurent les yeux ouverts.
Mais au fin moins, il faut être confessé, suivant ce que Dieu dit au rapport de David : Peccatori autem dixit Deus : Quare tu enarras justitias meas, et assumis testamentum meum per os tuum (Ps 49, 18 : « Dieu dit à l’impie : Pourquoi te mêles-tu d’annoncer mes préceptes et de parler de mon alliance ? ») ? Et S. Paul : Castigo corpus meum, et in servitutem redigo ; ne, cum aliis prœdicaverim, ipse reprobus efficiar (1Co 9, 27 : « Je châtie mon corps et je le réduis à la servitude, de peur qu’ayant prêché aux autres, je ne sois réprouvé moi-même »). Mais c’est trop sur ce point.
II — De la fin que doit se proposer le prédicateur.
A — De la fin en général.
La fin est la maîtresse cause de toutes choses ; c’est elle qui émeut l’agent à l’action, car tout agent agit et pour la fin et selon la fin ; c’est elle qui donne mesure à la matière et à la forme : selon le dessein qu’on a de bâtir une grande ou une petite maison, on prépare la matière, on dispose l’ouvrage.
B — De la fin du prédicateur.
Quelle donc est la fin du prédicateur en l’action de prêcher ? sa fin et son intention doit être de faire ce que notre Seigneur est venu pour faire en ce monde ; et voici ce qu’il en dit lui-même : Ego veni ut vitam habeant, et abundantius habeant (Jn 10, 11 : « Je suis venu afin que mes brebis aient la vie et l’aient abondamment »). La fin donc du prédicateur est que les pécheurs morts en l’iniquité vivent à la justice, et que les justes qui ont la vie spirituelle l’aient encore plus abondamment, se perfectionnant de plus en plus, et comme il fut dit à Jérémie : Ut evellas et destruas (Jr 1, 10) les vices et les péchés, et certifiées et plantes les vertus et perfections. Quand donc le prédicateur est en chaire, il doit dire en son cœur : Ego veni ut isti vitam habeant, et abundantiùs habeant (« Je suis venu dans cette chair, afin que ces peuples qui sont présens aient la vie, et qu’ils l’aient abondamment »).
C — Des moyens que le prédicateur doit employer pour parvenir a sa fin.
1 — Il doit instruire et émouvoir.
Car pour chévir de cette prétention et dessein, il faut qu’il fasse deux choses : c’est enseigner et émouvoir ; enseigner les vertus et les vices ; les vertus, pour les faire aimer, affectionner et pratiquer ; les vices, pour les faire détester, combattre et fuir : c’est tout en somme donner de la lumière à l’entendement et de la chaleur à la volonté.
C’est pourquoi Dieu envoya aux apôtres, le jour de la Pentecôte, qui fut le jour de leur consécration épiscopale, ayant déjà eu la sacerdotale le jour de la cène, des langues de feu ; afin qu’ils sussent que la langue de l’évêque doit éclairer l’entendement des auditeurs et échauffer leurs volontés.
2 — S’il faut plaire, et par quel endroit.
(Je ferai deux paragraphes de cette section, pour donner plus de jour à cette matière).
a. Qu’il faut plaire par la sainteté de la doctrine, et par les pieuses affections propres à réunir les cœurs.
Extension de la première section.
Je sais que plusieurs disent que, pour le troisième, le prédicateur doit délecter ; mais quant à moi, je distingue, et dis qu’il y a une délectation qui suit la doctrine et le mouvement. Car qui est cette âme tant insensible qui ne reçoive un extrême plaisir d’apprendre bien et saintement le saint chemin du ciel, qui ne ressente une consolation extrême de l’amour de Dieu ? Et pour cette délectation, elle doit être procurée ; mais elle n’est pas distincte de l’enseigner et émouvoir, c’en est une dépendance.
b. Il faut éviter de plaire d’une manière profane.
Il y a une autre sorte de délectation, qui ne dépend pas de l’enseigner et émouvoir, mais qui fait son cas à part, et bien souvent empêche l’enseigner et l’émouvoir. C’est un certain chatouillement d’oreilles, qui provient d’une certaine élégance séculière, mondaine et profane, de certaines curiosités, agencements de traits, de paroles, de mots, bref qui dépend entièrement de l’artifice : et quant à celle-ci, je nie fort et ferme qu’un prédicateur y doive penser ; il la faut laisser aux orateurs du monde, aux charlatans et courtisans, qui s’y amusent. Ils ne prêchent pas Jésus-Christ crucifié, mais ils se prêchent eux-mêmes. Non sectamur lenocinia rhetorum, sed veritates piscatorum (« Nous ne nous amusons point aux charmes des rhéteurs, mais nous nous attachons aux vérités des pêcheurs »).
S. Paul déteste les auditeurs prurientes auribus (2Tm 4, 3), et par conséquent les prédicateurs qui leur veulent complaire : cela est un pédantisme. Au sortir du sermon je ne voudrais pas qu’on dit : O qu’il est grand orateur ! ô qu’il a une belle mémoire ! ô qu’il est savant ! ô qu’il dit bien ! Mais je voudrois que l’on dit : O que la pénitence est belle ! ô qu’elle est nécessaire ! Mon Dieu, que vous êtes bon, juste, et semblable chose ; ou que l’auditeur, ayant le cœur saisi, ne pût témoigner de la suffisance du prédicateur que par l’amendement de sa vie. Ut vitam habeant, et abundantius habeant.
III — De la matière de la prédication.
A — de l’écriture sainte.
S. Paul dit en un mot à son Timothée : Prœdica verbum (2Tm 4, 2). Il faut prêcher la parole de Dieu : Prœdicate Evangelium, dit le maître S. François 3, duquel aujourd’hui nous faisons la fête ; et explique cela, commandant à ses frères de prêcher les vertus et les vices, l’enfer et le paradis. Il y a suffisamment de quoi en l’Ecriture sainte pour tout cela, il n’en faut pas d’avantage.
1 — De la doctrine des saints Pères.
Se faut-il doncques point servir de docteurs chrétiens et des livres des saints ? Si fait à la vérité. Mais qu’est-ce autre chose, la doctrine des Pères de l’Église, que l’Évangile expliqué, que l’Écriture sainte exposée ? Il y a à dire entre l’Écriture sainte et la doctrine des Pères comme entre une amande entière et une amande cassée, de laquelle le noyau peut être mangé d’un chacun ; ou comme d’un pain entier et d’un pain mis en pièces et distribué. Au contraire doncques il faut s’en servir ; car ils ont été les instrument par lesquels Dieu nous a communiqué le vrai sens de sa parole.
2 — Des traits d’histoires tirés de la vie des saints.
Mais des histoires des saints, s’en peut-on pas servir ? Mais, mon Dieu ! y a-t-il rien de si utile, rien de si beau ? Mais aussi qu’est-ce autre chose, la vie des saints, que l’Évangile mis en œuvre ? Il n’y a non plus de différence entre l’Évangile écrit et la vie des saints qu’entre une musique notée et une musique chantée.
3 — Quel usage peut-on faire, dans un sermon, des histoires profanes ?
Des histoires profanes, quoi ? Elles sont bonnes : mais il s’en faut servir comme l’on fait des champignons, fort peu, pour seulement réveiller l’appétit ; et lors encore faut-il qu’elles soient bien apprêtées, et, comme dit S. Jérome, il leur faut faire comme faisoient les Israélites aux femmes captives quand ils les vouloient épouser, il leur faut rogner les ongles et couper les cheveux, c’est-à-dire les faire entièrement servir à l’Évangile et à la vraie vertu chrétienne, leur ôter ce qui se trouve de répréhensible es actions païennes et profanes ; et il faut, comme dit la sainte parole, separare pretiosum à vili (« Séparer ce qui est précieux de ce qui est vil »). En la valeur de César, l’ambition doit être séparée et remarquée ; en celle d’Alexandre, la vanité, la fierté et superbe ; en la chasteté de Lucrèce, sa désespérée mort.
4 — Des fables et des sentences des poètes.
Et des fables des poètes ? Oh ! de celles-là point du tout, si ce n’est si peu et si à propos, et avec tant de circonspection, comme contre-poison, que chascun voie qu’on n’en veut pas faire profession ; tout cela si brièvement que ce soit assez.
Leurs vers sont utiles : les anciens les ont parfois employés, pour dévots qu’ils fussent ; même jusqu’à S. Bernard, lequel je ne sais pas où il les avoit appris. S. Paul fut le premier à citer Aratus et Menander.
Mais quant aux fables, je n’en ai jamais rencontré en pas un sermon des anciens, sauf une seule d’Ulysse et des sirènes employée par S. Ambroise en un de ses sermons. C’est pourquoy je dis, ou du tout point, ou si peu que rien. Il ne faut mettre l’idole de Dagon avec l’arche d’alliance.
5 — De l’usage des histoires naturelles, et du livre de l’univers.
Et des histoires naturelles ? Très-bien : car le monde, fait par la parole de Dieu, ressent de toute part cette parole ; toutes ses parties chantent la louange de l’ouvrier. C’est un livre qui contient la parole de Dieu, mais en un langage que chacun n’entend pas. Ceux qui l’entendent par la méditation font fort bien de s’en servir, comme faisoit S. Antoine, qui n’avoit nulle autre bibliothèque. Et S. Paul dit : Invisibilia Dei per ea quæ facta sunt intellecta conspiciuntur (Rm 1, 20 : « Les perfections invisibles de Dieu sont devenues visibles depuis la création du monde, par la connoissance que ses créatures nous en donnent »). Cœli enarrant gloriam Dei (Ps 18 : « Les cieux annoncent la gloire de Dieu »).
Ce livre est bon pour les similitudes, pour les comparaisons, à minori ad majus (« Du petit au grand »), et pour mille autres choses. Les anciens Pères en sont pleins, et l’Écriture sainte en mille endroits :
- Vade ad formicam (Pr 6, 6 : « Paresseux, allez voir la fourmi comme elle travaille ») ;
- Sicut gallina congregat pullos suos (Mt 23, 37 : « Jérusalem, combien de fois ai-je voulu rassembler tes habitans, comme une poule rassemble ses petits sous ses ailes ») ;
- Quemadmodum desiderat cervus (Ps 41, 1 : « Comme le cerf soupire avec ardeur après les eaux des torrens, ainsi mon âme soupire après vous, ô mon Dieu ») ;
- Quasi struthio in deserto (Jr 4, 3 : « La fille de mon peuple est cruelle comme les autruches qui sont dans le désert ») ;
- Considerate lilia agri (Lc 12, 27 : « Pourquoi vous inquiétez-vous pour le vêtement ? Voyez les lis des champs, ils ne travaillent et ne filent point ; cependant je vous déclare que Salomon, avec toute sa magnificence, n’a jamais été paré comme l’un d’eux ») ;
- et cent mille semblables.
Mais surtout que le prédicateur se garde bien de raconter de faux miracles, des histoires ridicules, comme certaines visions tirées de certains auteurs de basse ligne, choses indécentes, et qui puissent rendre notre ministère vitupérable et méprisable.
B — Comment il faut traiter chacune des parties de la matière dont nous venons de parler.
Voilà ce qu’il me semble touchant la matière en gros : reste néanmoins à dire en particulier des parties de la matière du sermon.
1 — De l’interprétation des passages de l’Écriture sainte.
La première partie de cette matière, ce sont les passages de l’Écriture, lesquels à la vérité tiennent le premier rang, et font le fondement de l’édifice : car enfin nous prêchons la parole, et notre doctrine gît en l’autorité. Ipse dixit, Hæc dicit Dominus (Is 21, 6 : « C’est le Seigneur même qui a parlé ; voici ce que dit le Seigneur »), disoient tous les prophètes ; et Notre Seigneur même : Doctrina mea non est mea, sed ejus qui misit me (Jn 7, 16 : « Ma doctrine n’est point de moi, mais la doctrine de celui qui m’a envoyé »). Mais il faut, tant qu’il en sera possible, que les passages soient naïvement et clairement bien interprétés. Or on peut bien user des passages de l’Écriture, les expliquant en l’une des quatre manières que les anciens ont remarquées :
Littera facta docet ; quid credas, allegoria ; Quid speres, anagoge ; quid agas, tropologia.
Il n’y a pas trop bonne quantité ; mais il y a de la rime, et encore plus de raison.
a. Du sens littéral de l’Ecriture sainte.
Pour le regard du sens littéral, il se doit puiser dans les commentaires des docteurs. C’est tout ce qu’on peut dire ; mais c’est au prédicateur de le faire valoir, de peser les mots, leur propriété, leur emphase ; comme, par exemple, hier j’expliquois en ce village le commandement Diliges Dominum Deum tuum ex toto corde, ex tota anima, ex tota mente (Mt 22, 37 : « Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout votre cœur, de toute votre âme, de tout votre esprit »). Je pensois avec notre saint Bernard,
- ex toto corde, c’est-à-dire courageusement, vaillamment, fervemment, parce-qu’au cœur appartient le courage ;
- ex tota anima, c’est-à-dire affectueusement, parce que l’âme, en tant qu’âme, est la source des passions et affections ;
- ex tota mente, c’est-à-dire spirituellement, discrètement, parce que mens c’est l’esprit et partie supérieure de l’âme, à laquelle appartient le discernement et jugement pour avoir le zèle secundum scientiam et discretionem (Rm 10, 2).
Ainsi ce mot diligere doit être pesé parce qu’il vient de eligo, et représente naïvement le sens littéral, qui est qu’il faut que notre cœur, notre âme, et notre esprit choisisse et préfère Dieu entre toutes choses, qui est le vrai amour appréciatif duquel les théologiens interprètent ces paroles.
Quand il y a diversité d’opinions entre les Pères et docteurs, il se faut abstenir d’apporter les opinions qui doivent être réfutées : car on ne monte pas en chaire pour disputer contre les Pères et docteurs catholiques ; il ne faut pas révéler les infirmités de nos maîtres, et ce qui leur est échappé comme hommes, ut sciant gentes quoniam homines sunt (« En sorte que les peuples sachent qu’ils sont des hommes comme les autres »).
Mais on peut bien apporter plusieurs interprétations, les louant et faisant valoir toutes l’une après l’autre, comme je fis, le carême passé, de six opinions et interprétations des Pères sur ces paroles, Dicite quia servi inutiles sumus (Lc 17, 16 : « Lorsque vous aurez fait tout ce qui est de votre devoir, dites : Nous sommes des serviteurs inutiles »), et sur ces autres paroles, Non est meum dare vobis (Mt 20, 23 : « Ce n’est pas à moi de vous accorder d’être à ma droite ou à ma gauche ») ; car, si vous vous en ressouvenez, je tirai de chacune de très-bonnes conséquences : mais je tus celle de S. Hilaire, ce me semble ; ou, si je ne le fis, je fis faute, et le devois faire, parce qu’elle n’étoit pas probable4.
b. Des sens allégoriques de l’Écriture.
Pour le sens allégorique, il faut que le prédicateur observe quatre ou cinq points.
Le premier est de tirer un sens allégorique qui ne soit point trop forcé, comme font ceux qui allégorisent toutes choses ; mais il faut qu’il soit naïvement tiré, sortant de la lettre, comme S. Paul fait, allégorisant d’Esau et Jacob au peuple juif et gentil, de Sion ou Jérusalem à l’Église (Rm 9).
Secondement, où il n’y a pas une très-grande apparence que l’une des choses ait été la figure de l’autre, il ne faut pas traiter les passages, l’un comme figure de l’autre, mais simplement par manière de comparaison ; comme, par exemple, le genévrier, sous lequel Élie s’endormit de détresse, est interprété allégoriquement par plusieurs de la croix ; mais moi, j’aimerois mieux dire ainsi : Comme Élie s’endormit sous le genévrier, ainsi nous devons reposer sous la croix de notre Seigneur par le sommeil de la sainte méditation ; et non pas ainsi, qu’Élie signifie le chrétien, et le genévrier signifie la croix. Je ne voudrois pas assurer que l’un signifie l’autre, mais je voudrois bien comparer l’un à l’autre ; car ainsi le discours est plus ferme et moins répréhensible.
Tiercement, il faut que l’allégorie soit bienséante, en quoi sont répréhensibles plusieurs qui allégorisent la défense faite en l’Écriture à la femme de ne point prendre l’homme par ses parties déshonnêtes, au Deutéronome, chapitre 23 : Si habuerint inter se jurgium viri duo, et unus contra alterum rixari cœperit ; volensque uxor alterius eruere virum suum de manu fortioris, miseritque manum, et apprehenderit verenda ejus ; abscides manum illius, nec flecteris super eam ulla misericordia (Dt 25, 11-12 : « S’il arrive un démêlé entre deux hommes, s’ils conviennent à se quereller l’un l’autre, et que la femme de l’un veuille tirer son mari d’entre les mains de l’autre qui sera plus fort que lui, étende la main et le prenne par un endroit que la pudeur défend de nommer, vous lui couperez la main sans vous laisser fléchir d’aucune compassion pour elle »). Et disent qu’elle représente le mal que fait la synagogue de reprocher aux gentils leur origine, et qu’ils n’étoient pas enfans d’Abraham : cela peut avoir de l’apparence ; mais il n’y a pas de la bienséance, à cause que cette défense porte une imagination dangereuse en l’esprit de l’auditeur — Quartement, il ne faut point faire d’allégorie trop grande ; car elles perdent leur grâce par la longueur, et semblent tendre à l’affectation.
Cinquièmement, il faut que l’application se fasse clairement et avec grand jugement pour rapporter dextrement les parties aux parties.
c. Du sens anagogique et tropologique ou moral.
Il faut presque observer les mêmes règles aux sens anagogique et tropologique, dont l’anagogique rapporte les histoires de l’Écriture à ce qui se passera en l’autre vie, et le tropologique les rapporte à ce qui se passe en l’âme et dans la conscience J’en mettrai un exemple qui servira pour tous les quatre sens.
d. Exemple d’un passage qui admet les quatre sens dont on vient de parler. Avantage de cette méthode.
Les paroles de Dieu parlant d’Ésaù et de Jacob, Duœ gentes sunt in utero, et duo populi ex ventre tuo dividentur ; populusque populum superabit, et major serviet minori (Gn 25, 23 : « Deux nations sont dans vos entrailles, et deux peuples sortis de votre sein se diviseront l’un contre l’autre ; l’un de ces peuples surmontera l’autre, et l’aîné sera assujetti au plus jeune »), littéralement s’entendent des deux peuples sortis, selon la chair, d’Ésaü et de Jacob, c’est à savoir, les Iduméens et les Israélites, dont le moindre, qui fut celui des Israélites, surmonta le plus grand et l’aîné, qui fut le peuple d’Idumée, au temps de David.
Allégoriquement Esaù représente le peuple juif, qui fut l’aîné en la connaissance du salut ; car les Juifs furent les premiers prêchés. Jacob représente les gentils, qui furent les puînés ; et néanmoins les gentils ont enfin surmonté les Juifs.
Analogiquement Ésaù représente le corps, qui est l’aîné ; car avant que l’âme fût créée, le corps fut fait et en Adam et en nous. Jacob signifie l’esprit, qui est puîné. En l’autre vie, l’esprit surmontera et dominera sur le corps, lequel servira pleinement à l’âme et sans contradiction.
Tropologiquement Ésaù c’est l’amour-propre de nous-mêmes : Jacob, l’amour de Dieu en notre âme. L’amour-propre est l’aîné, car il est né avec nous ; l’amour de Dieu puîné, car il s’acquiert par les sacremens et pénitences : et néanmoins il faut que l’amour de Dieu soit le maître, et quand il est en une âme, l’amour-propre sert et est inférieur.
Conclusion de cette section.
Or ces quatre sens donnent une grande, noble, et bonne matière à la prédication, et font merveilleusement bien entendre la doctrine : c’est pourquoi il s’en faut servir, mais avec les mêmes conditions que j’ai dit être requises à l’usage du sens allégorique.
2 — Comment il faut employer les sentences des saints Pères et des conciles.
Après les sentences de l’Écriture, les sentences des Pères et conciles tiennent le second rang ; et pour le regard d’icelles, je dis seulement que, si ce n’est bien rarement, il faut les choisir courtes, aiguës et fortes : les prédicateurs qui en allèguent de longues allanguissent leur ferveur et l’attention de la plupart des auditeurs, outre le danger auquel ils s’exposent de manquer de mémoire. Les courtes sentences et fortes sont comme celle de S. Augustin : Qui fecit te sine te, non salvabit te sine te (« Celui qui vous a fait sans vous ne vous sauvera pas sans vous ») ; et l’autre : Qui poenitentibus veniam promisit, tempus pœnitendi non promisit (« Celui qui a promis le pardon aux pénitens n’a pas promis aux pécheurs le temps de faire pénitence »), et semblables. En votre S. Bernard il y en a une infinité ; mais il faut, les ayant citées en latin, les dire en francois avec efficace et les faire valoir, les paraphrasant et déduisant vivement.
3 — Des preuves tirées de la raison et de la théologie ; où on les trouve, et comment il s’en faut servir.
S’ensuivent les raisons qu’une belle nature et un bon esprit peuvent fort bien employer ; et pour celles-ci, elles se trouvent chez les docteurs, et surtout chez S. Thomas plus aisément qu’ailleurs. Étant bien déduites, elles font une fort bonne matière. Si vous voulez parler de quelque vertu, allez à la table de S. Thomas ; voyez où il en parle ; regardez ce qu’il dit : vous trouverez plusieurs raisons qui vous serviront de matière : mais au bout de là il ne faut pas employer cette matière, sinon qu’on puisse fort clairement se faire entendre, pour le moins aux médiocres auditeurs.
4 — Des exemples.
a. Choix des exemples, et la manière de les proposer au peuple.
Les exemples ont une merveilleuse force, et donnent un grand goût au sermon : il faut seulement qu’ils soient propres, bien proposés et mieux appliqués. Il faut choisir de belles histoires et éclatantes, les proposer clairement et distinctement, et les appliquer vivement, et comme font, les Pères, proposant l’exemple d’Abraham qui immole son fils (Gn 22), pour montrer que nous ne devons rien épargner pour faire la volonté de Dieu ; car ils remarquent tout ce qui peut rendre recommandable l’obéissance d’Abraham.
Exemple.
Abraham, disent-ils, vieil ; Abraham qui n’avoit que ce fils si beau, si sage, si vertueux et si aimable ; néanmoins sans répliquer, sans murmurer et hésiter, il le mène sur la montagne, et veut lui-même de ses propres mains l’immoler.
Application.
Et certes ils font l’application encore plus vive. Et toi, chrétien, tu es si peu résolu à immoler, je ne dis pas ton fils, ta fille, tous tes biens, ni une grande partie, mais un seul écu pour l’amour de Dieu, à secourir les pauvres, une seule heure de tes passe-temps pour servir Dieu, une seule petite affection, etc.
b. Eviter les descriptions inutiles.
Mais il faut prendre garde à ne pas faire des descriptions vaines et flasques, comme font plusieurs écoliers qui, au lieu de proposer l’histoire naïvement et pour les mœurs, se mettront à décrire les beau tés d’Isaac, l’épée tranchante d’Abraham, l’enceinte du lieu du sacrifice, et semblables choses impertinentes. Il ne faut être aussi ni si court que l’exemple ne pénètre pas, ni si long qu’il ennuie.
c. Quand et si on peut faire parler les personnes dont on rapporte les exemples.
Il faut aussi se garder de faire des introductions de colloques entre les personnes de l’histoire, sinon qu’elles soient tirées des paroles de l’Écriture ou très-probables : comme, en cette histoire, qui introduit Isaac se lamentant sur l’autel, implorant la compassion paternelle pour s’échapper de la mort ; ou bien Abraham disputant en soi même, et se plaignant ; il fait mal et tort à la valeur et résolution de l’un et de l’autre. Ainsi ceux qui, par la méditation, ont rencontré des colloques, doivent observer deux règles en la prédication : l’une de voir s’ils sont solidement fondés sur une apparente probabilité ; l’autre de ne point les proposer fort longs, car cela refroidit et le prédicateur et l’auditeur.
d. Des exemples des saints.
Les exemples des saints sont admirables, ci surtout de ceux de la province où l’on prêche, comme de S. Bernard à Dijon.
5 — Des comparaisons, paroles ou similitudes.
Il reste un mot à dire des similitudes : elles ont une efficace incroyable à bien éclairer l’entendement et à émouvoir la volonté.
a. D’où on tire les similitudes.
On les tire des actions humaines, passant de l’une à l’autre ; comme, de ce que font les bergers, ce que doivent faire les évêques et pasteurs ; comme fit notre Seigneur, en la parabole de la brebis perdue (Lc 15, 4) ;
Des histoires naturelles, des herbes, des plantes, des animaux, de la philosophie, et enfin de tout.
Les similitudes des choses triviales, étant subtilement appliquées, sont excellentes, comme notre Seigneur fait en la parabole de la semence (Lc 8, 5).
Celles qui sont tirées des histoires naturelles, si l’histoire est belle et l’application belle, c’est un double lustre ; comme celle de l’Écriture, de la rénovation ou rajeunissement de l’aigle pour notre pénitence (Ps 102, 5).
b. Moyen de trouver les similitudes, et exemples sur ce sujet.
Or il y a un secret en ceci, qui est extrêmement profitable au prédicateur : c’est de faire des similitudes tirées de l’Écriture, de certains lieux où peu de gens les savent remarquer ; et ceci se fait par la méditation des paroles.
Exemple. David, parlant du mondain, dit : Periit memoria eorum cum sonitu. (Ps 9, 7 : « Leur mémoire est périe avec grand bruit, ou avec le bruit, ou comme le son qui passe en un moment »). Je tire deux similitudes de deux choses qui se perdent avec le son. Quand on casse un verre, en se cassant il périt en sonnant : ainsi les mauvais périssent avec un peu de bruit, on parle d’eux à leur mort. Mais comme le verre cassé demeure du tout inutile, ainsi ces misérables, sans espoir de salut, demeurent à jamais perdus.
L’autre, quand un grand riche meurt on sonne toutes les cloches, on lui fait de grandes funérailles ; mais, passé le son des cloches, qui le bénit ? qui parle de lui ? personne.
S. Paul parlant de celui qui n’a point de charité et fait quelques œuvres, il dit que factus est sicut aes sonans, aut cymbalum tinniens (1Co 13 : « Si je n’ai pas la charité, je suis semblable à une cloche qui sonne ou à une cymbale qui retentit »). On tire une similitude de la cloche, qui appelle les autres à l’église et n’y entre point ; car ainsi un homme qui fait des œuvres sans charité, il édifie les autres et les incite au paradis, et il n’y va point lui-même.
c. Expressions métaphoriques propres à former des similitudes.
Or, pour rencontrer ces similitudes, il faut considérer les mots, s’ils ne sont point métaphoriques ; car quand ils le sont, tout aussitôt il y a une similitude à qui les sait bien découvrir. Par exemple : Viam mandatorum tuorum cucurri, cum dilatasti cor meum (Ps 118, 32 : « J’ai couru dans la voie de vos commandemens lorsque vous avez dilaté mon cœur ») : il faut considérer ce mot dilatasti, et celui de cucurri ; car il se prend par métaphore. Or maintenant il faut voir les choses qui vont plus vite par dilatation ; et vous en trouverez quelques unes, comme les navires quand le vent étend leurs voiles. Les navires donc qui chôment au port, sitôt que le vent propice les saisit aux voiles, et qu’il les emplit et fait enfler, ils cinglent. Ainsi, lorsque le vent favorable du Saint-Esprit entre dans notre cœur, notre aine court et cingle dans la mer des commandemens.
Et certes qui observera ceci fera fructueusement beaucoup de belles similitudes, esquelles similitudes il faut observer la décence à ne dire rien de vil, abject et sale.
d. Des autres applications plus indirectes de l’Ecriture, permises avec modération.
Après tout cela je vous avise qu’on se peut servir de l’Écriture par application avec beaucoup d’heur, encore que bien souvent ce qu’on en tire ne soit pas le vrai sens ; comme S. François disoit que les aumônes étoient panis angelorum (Le pain des anges), parce que les anges les procuroient par leurs inspirations ; et applique le passage, Panem angelorum manducavit homo (L’homme a mangé le pain des anges). Mais en ceci il faut être discret et sobre.
IV — De la disposition de la matière, ou de la méthode qu’il faut garder pour traiter chaque sujet.
A — Avant-propos : de la méthode en général, et des diverses espèces qui se traitent dans la chaire.
Il faut tenir méthode sur toutes choses ; il n’y a rien qui aide plus le prédicateur, qui rende sa prédication plus utile, et qui agrée tant à l’auditeur.
J’approuve que la méthode soit claire et manifeste, et nullement cachée, comme font plusieurs qui pensent que ce soit un grand coup de maître de faire que nul ne connoisse leur méthode. De quoi, je vous prie, sert la méthode, si on ne la voit pas, et que l’auditeur ne la connoisse pas ?
Pour vous aider en ceci, je vous dirai que, ou vous voulez prêcher quelque histoire, comme de la nativité, de la résurrection, de l’assomption ; ou quelque sentence de l’Ecriture, comme Omnis qui se exaltat humiliabitur (Lc 14, 11 : « Celui qui s’élève sera humilié ») ; ou tout un Évangile où il y a plusieurs sentences ; ou la vie de quelque saint, avec quelque sentence.
B — De la manière de traiter les mystères.
Quand on prêche une histoire, on se peut servir de l’une de ces méthodes.
Première manière — Considérer combien de personnages il y a en l’histoire que vous voulez prêcher, puis de chacun tirer quelque considération.
Exemple. En la résurrection je vois les Maries, les anges, les gardes du sépulcre, et notre doux Sauveur. Es Maries j’y vois la ferveur et diligence, es anges la joie et jubilation en leurs habits blancs et en lumière ; es gardes je vois la foiblesse des hommes qui entreprennent contre Dieu ; en Jésus, je vois la gloire, le triomphe de la mort, l’espérance de notre résurrection.
Seconde manière — On peut prendre en un mystère le point principal, comme en l’exemple précédent la résurrection ; puis considérer ce qui a précédé ce point-là, et ce qui s’en est ensuivi.
La résurrection est précédée de la mort, de la descente aux enfers, de la délivrance des pères qui étoient au sein d’Abraham, de la crainte des Juifs qu’on ne dérobe le corps, la résurrection en corps bienheureux et glorieux : ce qui s’ensuit, c’est le tremble-terre, la venue et apparition des anges ; la recherche des dames, la réponse des anges ; et en toutes ces parties il y a merveilles à dire, et par bon ordre.
Troisième manière — On peut en tous mystères considérer ces points : qui ? pourquoi ? comment ? Qui ressuscite ? notre Seigneur. Pourquoi ? pour sa gloire, et pour notre bien. Comment ? glorieux, immortel, etc. Qui est né ! le Sauveur. Pourquoi ? pour nous sauver. Comment ? pauvrement, nu, froid, en une étable, et petit enfant.
Quatrième manière — Après avoir proposé par une petite paraphrase l’histoire, on peut quelquefois en tirer trois ou quatre considérations.
La première, qu’est-ce qu’il en faut apprendre pour édifier notre foi ; la seconde, pour accroître notre espérance ; la troisième, pour enflammer notre charité ; la quatrième, pour imiter et exécuter.
En l’exemple de la résurrection, pour la foi, nous voyons la toute-puissance de Dieu, un corps passer au travers de la pierre, être devenu immortel, impassible et tout spiritualisé. Combien est-ce que nous devons être fermes à croire qu’au saint-sacrement ce même corps n’occupe point de place, ne peut être offensé par la fraction des espèces, et qu’il y est en une façon spirituelle, quoique réelle ! Pour l’espérance, si Jésus-Christ est ressuscité, nous ressusciterons, dit S. Paul, il nous a frayé le chemin (2Co 4, 14).
Pour la charité, tout ressuscité qu’il est, il converse néanmoins encore en terre pour instruire l’Église, et retarde de prendre possession du ciel, lieu propre des corps ressuscites, pour notre bien. O quel amour ! Pour l’imitation, il est ressuscité le troisième jour. O Dieu ! que ne ressuscitons-nous par la contrition, confession et satisfaction ! Il force la pierre, vainquons toutes difficultés.
C — Comment il faut prêcher sur un texte ou une maxime de l’écriture sainte.
Première manière — Quand vous voulez prêcher une sentence, il faut considérer à quelle vertu elle se rapporte, comme par exemple : Qui se humiliat, exaltabitur (Lc 14, 11 : « Celui qui s’humilie sera élevé ») ; voilà le sujet de l’humilité bien clair.
Mais il y a d’autres sentences où le sujet n’est pas si découvert, comme : Quomodo huc intrasti, non habetis vestem nuptialem (Mt 22, 12 : « Comment êtes-vous entré ici sans avoir la robe nuptiale ») ? Voilà la charité : mais vous la voyez couverte d’une robe ; car la robe nuptiale, c’est la charité.
Ainsi doncqucs ayant découvert, en la sentence que vous voulez manier, la vertu à laquelle elle vise, vous pourrez réduire votre sermon en méthode ; considérant en quoi gît la vertu, les vraies marques d’icelle, ses effets, et le moyen de l’acquérir ou exercer, qui a toujours été ma méthode ; et j’ai été consolé d’avoir rencontré le livre du père Rossignol, jésuite, conforme à cette méthode. Ce livre est intitulé, De actionibus virtutum, imprimé à Venise. Il vous sera fort utile.
Seconde manière — Il y a une autre méthode, montrant combien cette vertu dont il s’agit est honorable, utile, délectable ou plaisante, qui sont les trois biens qui se peuvent désirer.
Troisième manière — Encore peut-on traiter autrement ; c’est à savoir des biens que cette vertu donne, et des maux que le vice opposé apporte ; mais la première est la plus utile.
D — De l’homélie, ou comment il faut expliquer l’évangile.
Quand on traite un Évangile où il y a plusieurs sentences, il faut regarder celles sur lesquelles on se veut arrêter, voir de quelles vertus elles traitent, et en dire succinctement selon ce que j’ai dit d’une seule sentence, et les autres les parcourir et paraphraser.
Mais cette façon de passer sur tout un Evangile sentencieux est moins fructueuse ; d’autant que le prédicateur, ne pouvant s’arrêter que fort peu sur chacune sentence, ne peut les bien démêler, ni inculquer à l’auditeur ce qu’il désire.
E — Méthodes pour les éloges des saints.
On peut également procéder par diverses voies dans les éloges des saints.
Première manière — Quand on traite de la vie d’un saint, la méthode est diverse. Celle que j’ai tenue en l’oraison funèbre de M. de Mercœur est bonne, parce qu’elle est de S. Paul : Ut pie erga Deum, sobrie erga seipsum, juste erga proximum vixerit (« Comme il vécut avec piété par rapport à Dieu, avec sobriété par rapport à lui-même, et avec justice par rapport au prochain »). Il faut rapporter les pièces de la vie du saint chacune à son rang, ou bien considérer ce qu’il fit, agendo, qui sont ses vertus, patiendo, ses souffrances, soit de martyre ou de mortification, orando, ses miracles.
Seconde manière — Ou bien de considérer comme il a combattu le diable, le monde, la chair, la superbe, l’avarice, la concupiscence, qui est la division de S. Jean. Omne, dit-il, quod est in mundo, aut est concupiscentia carnis, etc. (1Jn 2, 16 : « Tout ce qui est dans le monde est ou concupiscence de la chair, ou concupiscence des yeux, ou orgueil de la vie »).
Troisième manière — Ou bien comme je fis à Fonteynes, sur S Bernard : comme il faut honorer Dieu en son saint, et le saint en Dieu ; comme il faut servir Dieu à l’imitation de son saint ; comme il le faut prier par l’intercession de son saint ; et ainsi effleurer la vie du saint dont on parle, et mettre chaque chose en son lieu.
F — De l’ordre qu’il faut garder dans les preuves.
Voilà bien assez de méthodes pour commencer ; car après un peu d’exercice, vous en ferez d’autres qui vous seront propres et meilleures. Il me reste à dire, pour la méthode, que je mettrois volontiers les passages de l’Écriture les premiers, les raisons les secondes, les similitudes les troisièmes, et les quatrièmes les exemples, s’ils sont sacrés, car s’ils sont profanes, ils ne sont pas propres à fermer un discours : il faut que le discours sacré soit terminé par une chose sacrée.
G — Que le commencement du sermon doit instruire, et la fin toucher l’auditeur.
Item, la méthode veut que le commencement du sermon jusqu’au milieu enseigne l’auditeur, et que depuis le milieu jusqu’à la fin il l’émouve. C’est pourquoi les discours affectifs doivent être logés à la fin.
H — Moyens faciles pour remplir tous les points d’un sermon.
Mais après tout ceci il faut que je vous die comme il faut remplir les points de votre sermon, et voici comment. Par exemple, vous voulez traiter de la vertu d’humilité, et vous avez disposé vos points en cette sorte :
- En quoi gît cette vertu ;
- ses marques ;
- ses effets ;
- moyen de l’acquérir.
Voilà votre disposition. Pour remplir chaque point de conceptions, vous chercherez en la table des auteurs le mot humilitas, humilis, superbia, superbus, et verrez ce qu’ils en disent ; et trouvant les descriptions, ou définitions, vous les mettrez sous le titre, en quoi gît cette vertu, et tâcherez de bien éclaircir ce point, montrant en quoi gît le vice contraire.
Pour remplir le second point, vous verrez humilitas ficta en la table, humilitas indiscreta, et semblables ; et par-là vous montrerez la différence entre la fausse humilité et la vraie. S’il y a des exemples de l’une et de l’autre, vous les apporterez ; et ainsi des autres deux points. Intelligenti pauca (Un homme d’esprit entend à demi-mot).
I — Des auteurs ou l’on peut trouver des matériaux pour les sermons.
Les auteurs où ces matières se trouvent sont S. Thomas, S. Antonin, Guillelmus episcopus Lugdunensis in Summa de virtutibus et vitiis, Summa praedicantium Philippi Diez, et tous les sermons, Osorius, Grenade en ses œuvres spirituels, Hylaret en ses sermons, Stella in Lucam, Salmeron et Baradas jésuites sur les Évangiles. S. Grégoire entre les anciens excelle, et S. Chrysostome avec S. Bernard.
Mais il faut que je die mon opinion. Entre tous ceux qui ont écrit des sermons, Diez m’agrée infiniment : il va à la bonne foi, il a l’esprit de prédication, il inculque bien, explique bien les passages, fait de belles allégories et similitudes, et des hypotyposes nerveuses, prend l’occasion de dire admirablement, et est fort dévot et clair. Il lui manque ce qui est en Osorius, qui est l’ordre et la méthode ; car il n’en tient point. Mais il me semble qu’il se le faut rendre familier au commencement. Ce que je dis, non pour m’en être fort servi, car je ne l’ai vu qu’après beaucoup de temps, mais parce que je le connois tel, et me semble que je ne me trompe pas. Il y a un Espagnol qui a fait un gros livre qui s’appelle Silva allegoriarum, lequel est très-utile à qui le sait bien manier, comme aussi les Concordances de Benedicti. Voilà, ce me semble, le principal de ce qui me vient maintenant en mémoire pour la matière.
V — De la forme de la prédication, ou comment il faut prêcher.
A — Ce qu’il faut éviter et pratiquer en général.
C’est ici, monsieur, où je désire plus de créance qu’ailleurs, parce que je ne suis pas de l’opinion commune, et que néanmoins ce que je dis est la vérité même.
La forme, dit le Philosophe, donne l’être et l’âme à la chose. Dites merveilles, mais ne les dites pas bien, ce n’est rien : dites peu et dites bien, c’est beaucoup. Comme donc faut-il dire en la prédication ?
- Il se faut garder des quanquam et longues périodes des pédans, de leurs gestes, de leurs mines et de leurs mouvemens : tout cela est la peste de la prédication.
- Mais pour l’avoir, que faut-il faire ? En un mot, il faut parler affectionnément et dévotement, simplement et candidement, et avec confiance ; être bien épris de la doctrine qu’on enseigne, et de ce que l’on persuade. Le souverain artifice est de n’avoir point d’artifice. Il faut que nos paroles soient enflammées, non par des cris et actions démesurés, mais par l’affection intérieure ; il faut qu’elles sortent du cœur, plus que de la bouche. On a beau dire ; mais le cœur parle au cœur, et la langue ne parle qu’aux oreilles.
B — Des qualités de l’action en particulier.
- J’ai dit qu’il faut une action libre, contre une certaine action contrainte et étudiée des pédans.
- J’ai dit noble ; contre l’action rustique de quelques-uns, qui font profession de battre des poings, des pieds, de l’estomac contre la chaire : ils crient et font des hurlemens étranges, et souvent hors de propos.
- J’ai dit généreuse ; contre ceux qui ont une action craintive, comme s’ils parloient à leurs pères, et non pas à leurs disciples et enfans.
- J’ai dit naïve ; contre tout artifice et affectation.
- J’ai dit forte ; contre certaine action morte, molle et sans efficace.
- J’ai dit sainte ; pour forclorre les muguettes, les courtisanes et mondaines.
- J’ai dit grave ; contre certains qui font tant de bonnetades à l’auditoire, tant de révérences, et puis tant de petites charlateries, montrant leurs mains, leurs surplis, et faisant tels autres mouyemens indecens.
- J’ai dit un peu lente ; pour forclorre une certaine action courte et retroussée, qui amuse plus les yeux qu’elle ne bat au cœur.
- Je dis de même du langage, qui doit être clair, net et naïf, sans ostentation de mots grecs, hébreux, nouveaux et courtisans.
C — De la qualité du style et de la composition.
La tissure doit être naturelle, sans préface, sans agencement. J’approuve que l’on die premièrement au premier point ; secondement au second, afin que le peuple voie l’ordre.
D — Règles a observer sur les complimens et la flatterie.
Il me semble que nul, mais surtout les évêques, ne doivent user de flatterie envers les assistans, fussent-ils rois, princes et papes.
Il y a bien certains traits propres à s’acquérir la bienveillance, dont on peut user parlant la première fois à son peuple. Je suis bien d’avis qu’on témoigne le désir qu’on a de son bien, qu’on commence par des salutations et bénédictions, par des souhaits de le pouvoir bien aider au salut ; de même à sa patrie ; mais cela brièvement, cordialement, et sans paroles attifées.
Nos anciens Pères, et tous ceux qui ont fait du fruit, se sont abstenus de tout fatras et jolivetés mondaines. Ils parlent cœur à cœur, esprit à esprit, comme les bons pères aux enfants.
Les ordinaires appellations doivent être, mes frères, mon peuple (si c’est le vôtre), mon cher peuple, chrétiens auditeurs.
E — De la fin du sermon, de la péroraison, et des exclamations.
L’évêque doit donner à la fin la bénédiction le bonnet en tête, et, icelle achevée, saluer le peuple.
On doit finir par des paroles courtes, plus animées et vigoureuses. J’approuve le plus souvent la récollection ou récapitulation, après laquelle on dit quatre ou cinq mots de ferveur, par manière d’oraison ou d’imprécation.
Il est bon d’avoir certaines exclamations familières, judicieusement prononcées et employées, comme, ô Dieu ! bonté de Dieu ! ô bon Dieu ! Seigneur Dieu ! vrai Dieu ! eh ! hélas ! ah mon Dieu !
F — Respect que l’on doit avoir pour la parole de dieu ; comment on doit se préparer a la prédication.
Pour la préparation au sermon, j’approuve qu’elle se fasse dès le soir, et que le matin on médite pour soi ce que l’on veut dire aux autres. La préparation faite auprès du saint-sacrement a grande force, dit Grenade, et je le crois.
G — Comment il faut ménager l’auditeur.
J’aime la prédication qui ressent plus l’amour du prochain que l’indignation, voire même des huguenots, qu’il faut traiter avec grande compassion, non pas les flattant, mais les déplorant.
Il est toujours mieux que la prédication soit courte que longue ; en quoi j’ai failli jusqu’à présent que je m’amende. Pourvu qu’elle dure une demi-heure, elle ne peut être trop courte.
Il ne faut point témoigner de mécontentement s’il est possible ; mais au moins point de colère, comme je fis le jour de Notre-Dame, quand on sonna avant que j’eusse achevé. Ce fut une faute sans doute avec plusieurs autres.
Je n’aime point les plaisanteries et sobriquets : ce n’est pas le lieu.
H — Ce que c’est que la prédication.
Je finis en disant que la prédication c’est la publication et déclaration de la volonté de Dieu, faite aux hommes par celui qui est là légitimement envoyé, afin de les instruire et émouvoir à servir sa divine majesté en ce monde, pour être sauvés en l’autre.
Suite et conclusion de la lettre.
Que direz-vous de cela ? Pardonnez-moi, je vous supplie ; j’ai écrit à course de plume, sans aucun soin ni de parole ni d’artifice, porté du seul désir de vous témoigner combien je vous suis obéissant. Je n’ai point cité les auteurs que j’ai allégués en certains endroits ; c’est que je suis aux champs, où je ne les ai pas. Je me suis allégué moi-même ; mais c’est, monsieur, parce que vous voulez mon opinion, et non celle des autres : et quand je la pratique moi-même pourquoi ne la dirois-je pas ? Il faut, avant que je ferme cette lettre, que je vous conjure, monsieur, de ne la point faire voir à personne duquel les yeux me soient moins favorables que les vôtres, et que j’ajoute ma très-humble supplication que vous ne vous laissiez emporter à nulle sorte de considération qui vous puisse empêcher ou retarder de prêcher. Plus tôt vous commencerez, plus tôt vous réussirez ; et prêcher souvent, il n’y a que cela pour devenir maître. Vous le pouvez, monsieur, et vous le devez. Votre voix est propre, votre doctrine suffisante, votre maintien sortable, votre rang très-illustre en l’Église : Dieu le veut, les hommes s’y attendent ; c’est la gloire de Dieu, c’est votre salut : hardiment, monsieur, et courage pour l’amour de Dieu.
Le cardinal Borromée, sans avoir la dixième partie des talens que vous avez, prêche, édifie, et se fait saint. Nous ne devons pas chercher notre honneur, mais celui de Dieu ; et laissez faire, Dieu cherchera le nôtre. Commencez, monsieur, une fois aux ordres, une autre fois à quelque communion ; dites quatre mots, et puis huit, et puis douze, jusqu’à demi-heure ; puis montez en chaire : il n’est rien d’impossible à l’amour. Notre Seigneur ne demanda pas à S Pierre, Es-tu savant ou éloquent ? pour lui dire, Pasce oves meas ; mais Amas me (Jn 27, 17 : « Jésus dit à Pierre : Simon, fils de Jean, m’aimez-vous ? Pierre répondit : Seigneur, rien ne vous est caché ; vous savez que je vous aime. Jésus lui répartit : Paissez mes brebis ») ? Il suffit de bien aimer pour bien dire. S. Jean mourant ne savoit que répéter cent fois en un quart d’heure : Mes enfans, aimez-vous les uns les autres ; et avec cette provision il montoit en chaire : et nous faisons scrupule d’y monter, si nous n’avons des myrabolans d’éloquence ! Laissez dire à qui alléguera la suffisance de monsieur votre prédécesseur : il commença une fois comme vous.
Mais, mon Dieu ! monsieur, que direz-vous de moi, qui vais si simplement avec vous ? L’amour ne se peut taire où il y va de l’intérêt de celui qu’on aime. Monsieur, je vous ai juré fidélité, et l’on souffre beaucoup d’un serviteur fidèle et passionné. Vous allez, monsieur, à votre troupeau : eh ! que ne m’est-il loisible de courir jusque-là pour vous assister, comme j’eus l’honneur de faire à votre première messe ! je vous y accompagnerai par mes vœux et désirs. Votre peuple vous attend pour vous voir, pour être vu et revu de vous. De votre commencement ils jugeront du reste : commencez de bonne heure à faire ce qu’il faut faire toujours. O qu’ils seront édifiés quand ils vous verront souvent à l’autel sacrifier pour leur salut avec vos curés, traiter de leur édification, et en chaire parler de la parole de réconciliation, et prêcher ! Monsieur, je ne fus jamais à l’autel sans vous recommander à notre Seigneur ; trop heureux si je suis digne que quelquefois vous m’y portiez en votre mémoire. Je suis et serai toute ma vie de cœur, d’âme, d’esprit, monsieur, votre, etc. J’ai eu honte relisant cette lettre ; et si elle étoit plus courte, je la referais ; mais j’ai tant de confiance en la solidité de votre bienveillance que la voilà, monsieur, telle qu’elle est. Pour l’amour de Dieu, aimez-moi toujours, et me tenez pour autant votre serviteur comme qui vive, car je le suis.
-
On trouve dans le Pontifical romain, dans l’ordination des évêques, ces paroles de l’évêque consécrateur, en présentant le livre de l’Evangile à l’ordinant : Accipe Evangelium, et vade, praedica populo tibi commisso, etc. ↩
-
Concile de Trente, V° session, décret des réformations, c. 2. Des prédicateurs et des quêteurs. ↩
-
S. François d’Assise, dont la fête se célèbre le 4 octobre. ↩
-
M. l’archevêque de Bourges assistoit au sermon que S. François fit à Dijon pendant le carême. ↩