Matteo Ricci — Traité de l’Amitié
Un texte que j’ai longtemps cherché et qui n’est plus édité.
Moi, Matteo, suis venu par bateau de l’Extrême-Occident jusqu’en Chine. J’ai levé la tête [en signe de respect] devant les nobles vertus incarnées par le Fils du Ciel des grands Ming et les enseignements des princes de l’Antiquité. Les astres et les neiges se sont succédé de nombreuses fois depuis que j’ai élu domicile au-delà des montagnes. Au printemps de cette année, ayant traversé fleuves et monts, je suis parvenu à Jinling, où j’ai pu admirer les splendeurs de la capitale. J’en éprouvai une telle joie que je ne ressentais presque plus les fatigues du voyage. Avant de mettre un terme à mon long périple, j’ai ramené mon embarcation à Yuzhang où je l’ai amarrée, au port de Nanpu. De là, j’ai promené mon regard sur les Monts de l’Ouest, appréciant ces paysages d’une si singulière beauté. Je pensai que là devait être la retraite des hommes accomplis. Je m’attardai en ce lieu, incapable de le quitter : y laissant ma barque, je m’y installai. C’est ainsi que je pus rendre visite au prince de Jian’an. Celui-ci me reçut de bonne grâce, m’autorisant à le saluer longuement les mains jointes. Il me fit asseoir à la place de l’hôte, me fit servir du vin sucré, et me fit grand honneur. Le prince s’approcha ensuite et me dit, en me serrant les mains : « Chaque fois qu’un gentilhomme vertueux daigne passer par mes terres, je ne manque pas de l’inviter et de lui témoigner mon amitié et mon respect. Les nations de l’Extrême-Occident sont des pays de grande morale. Je serais heureux d’en entendre quelques propos sur l’amitié, qu’en pensez-vous ? » Ayant pris congé de lui, je commençai à rédiger ce que j’avais entendu sur le sujet depuis mon enfance. J’en composai l’opuscule que je présente ici avec mes humbles respects.
Le quinzième jour du troisième mois, vingt-troisième année [du règne de l’empereur] Wanli.
- Mon ami n’est autre que la moitié de moi-même, ou encore un autre moi-même, aussi dois-je le considérer tout comme moi-même.
- Mon ami et moi formons deux corps, en ces deux corps cependant, le cœur est un.
- Éprouver le besoin de l’autre, s’aider l’un l’autre, telles sont les raisons d’être d’une amitié.
- Un bon fils hérite les amis de son père comme il hérite ses biens.
- Il est difficile, en temps ordinaire, d’apprécier la sincérité de ses amis. C’est lorsque le malheur arrive que le cœur de l’ami se manifeste. Dans la détresse, l’ami véritable se rapproche, le faux s’éloigne.
- Qui a accompli de grandes choses, s’il ne l’a fait en dépit d’une grande adversité, l’a fait grâce à de grandes amitiés. (S’il n’a pas eu d’ennemis qui ont éveillé sa vigilance, il a nécessairement eu des amis qui l’ont soutenu !)
- Il faut se montrer prudent avant de nouer une amitié, digne de confiance après.
- Les hommes les plus intelligents se trompent parfois : ils se comptent plus d’amis qu’ils n’en ont en vérité. (L’idiot se vante d’avoir des amis lorsqu’il n’en a pas, le sage se trompe parfois en pensant qu’il en a beaucoup alors qu’il en a peu.)
- Si un ami attend quelque chose en retour d’un présent, il ne s’agit plus d’un présent, mais d’un simple marché.
- Amitié et inimitié sont comme musique et cacophonie : c’est l’harmonie qui les différencie. L’harmonie est la source même de l’amitié. Elle permet au plus petit projet de vivre et grandir, alors que dans la discorde, les plus grands projets échouent. (La musique nous apporte l’harmonie, la cacophonie nous en éloigne. Lorsque deux amis vivent en harmonie, ils créent une musique. Lorsque deux ennemis sont en discorde, ils créent une cacophonie.)
- Dans la souffrance, seuls les visages de mes amis me sont une vision agréable. Il n’est de circonstance, heureuse ou malheureuse, où mes amis ne me soient d’un certain bénéfice : lorsque je suis en peine, ils atténuent ma peine, lorsque je suis joyeux, ils augmentent ma joie.
- La haine qui nous incite à nuire à nos ennemis est plus profonde que l’amour qui nous incite à nous montrer bienveillants envers nos amis. Cela n’est-il pas la preuve que l’homme est faible dans sa bonté et fort dans sa haine ?
- Les événements de la vie d’un homme sont imprévisibles, et il est difficile de se fier à une amitié : l’ami d’aujourd’hui se transforme parfois en ennemi, et l’ennemi en ami. Cela ne mérite-t-il pas vigilance et prudence ?
- L’on ne peut se fier à l’amitié de celui qui n’a été sollicité que dans des moments heureux. (L’on prend le pouls de la main gauche : la main gauche est une amie dans l’épreuve.)
- C’est sans tristesse que je pense à mes amis disparus. De leur vivant, je les possédais comme si je pouvais les perdre ; ils ne sont plus, je pense à eux comme s’ils étaient présents.
- Un homme seul ne peut venir à bout de tout. C’est pourquoi Dieu a ordonné aux hommes d’avoir des amis pour qu’ils s’entraident. Si la voie [de l’amitié] disparaissait, l’homme disparaîtrait avec elle.
- Seul est mon ami intime celui à qui je peux tout dévoiler de mon cour.
- Ceux-là seuls qui partagent les mêmes vertus et la même volonté peuvent construire une amitié solide. (Le caractère de l’« ami » est formé de deux éléments signifiant « à la fois » : lui est à la fois moi, et je suis à la fois luic.)
- Un ami droit et sincère ne doit pas constamment nous approuver, ni constamment nous désapprouver. Il nous approuve lorsque nous avons raison, nous désapprouve lorsque nous avons tort. Le seul devoir de l’ami est de parler sans détours.
- Qui noue une amitié est semblable au médecin qui traite une maladie. Cependant, si le médecin aime sincèrement le malade, il doit haïr son mal, et pour le sauver de ce mal, faire souffrir son corps et porter l’amertume à sa bouche. Si le médecin ne ménage pas le corps du patient, pourquoi devrais-je ménager les défauts de mon ami ? Je lui ferai mes remontrances, encore et sans relâche, sans souci de l’oreille qui ne veut m’écouter, sans crainte du regard courroucé.
- L’on ne devrait croire ni toutes les flatteries de nos amis, ni toutes les calomnies de nos ennemis.
- Mon ami et moi ne faisons qu’un, en tout lieu et toute circonstance. Qu’il soit près ou loin de moi, chez lui ou au-dehors, face à moi ou le dos tourné, ni ses paroles ni ses sentiments ne varient.
- Un ami qui ne me ferait aucun bien serait comme un ennemi qui ne me ferait aucun mal.
- Le mal que me font mes amis en me flattant de façon excessive est plus grand que celui que me font mes ennemis en me calomniant. (Je risque de tirer orgueil des flatteries de mes amis, alors que les calomnies de mes ennemis me rendent plus vigilant envers moi-même.)
- Celui qui devient mon ami en considérant mes biens et ma position me tournera le dos et me quittera dès lors que je les perdrai. Il dira qu’il ne voit plus en moi l’ami d’autrefois, et que son amitié, de ce fait, a disparu.
- C’est dans les affaires où l’on manque de certitude que l’on peut éprouver la certitude d’une amitié.
- Si tu es un véritable ami, tu m’aimeras par affection, et non par amour de mes biens.
- Celui qui, en amitié, ne voit que son intérêt propre et ne se préoccupe pas d’être utile à son ami, celui-là n’est qu’un commerçant. Il ne mérite pas le nom d’ami. (L’homme de peu se lie d’amitié comme il prête de l’argent : il ne calcule que ses intérêts.)
- L’ami partage tout ce qu’il possède.
- Le prix de l’amitié réside dans nos intentions profondes. Combien d’amis liés par leurs seules vertus existe-t-il aujourd’hui ?
- Si l’indulgence est souhaitable entre amis, elle doit avoir ses limites. (Ou bien votre ami est coupable d’une petite faute et peut être pardonné, ou bien il a gravement failli à ses devoirs et doit être alors abandonné.)
- L’ami chez qui les plaisirs sont plus que le devoir ne doit pas bénéficier longtemps de notre amitié.
- Tolérer les vices de nos amis revient à les faire siens.
- Ce que je peux faire moi-même, je ne dois pas attendre de mes amis qu’ils le fassent à ma place.
- Le nom d’ami était autrefois un mot respectable. Aujourd’hui, on en fait commerce, il est devenu comparable à une marchandisé. Comme cela est regrettable !
- Les amis sont presque des frères, c’est pourquoi ils s’appellent « frère » entre eux. Toutefois, l’ami dépasse le frère en bienveillance.
- Les bienfaits que l’amitié procure au monde sont plus grands que ceux que lui procure la richesse. Nul n’aime la richesse pour elle seule, or il en est qui aiment leurs amis pour eux seuls.
- Les amis, de nos jours, ne se disent plus rien, et les flatteurs ne savent que flatter. Si je veux entendre des paroles sincères, il ne me reste plus que mes ennemis.
- Si aujourd’hui un ami me fait du tort, je ne souffrirai pas seulement du tort qui m’est fait, mais beaucoup plus encore de ce qu’il vient d’un ami.
- Avoir beaucoup d’amis intimes, c’est en réalité n’en avoir aucun.
- Comment pourrais-je éprouver la sincérité de mes amis si je ne connaissais que le bonheur et jamais l’adversité ?
- Les chemins de l’amitié sont larges : les hommes sans vertu et les brigands doivent eux aussi avoir des amis et former des clans pour brigander.
- Considère tes amis comme toi-même, alors celui qui est au loin te semblera proche, le faible deviendra fort, celui qui est dans la peine retrouvera la joie, le malade guérira. Est-il besoin d’en dire davantage ? Celui qui n’est plus te semblera présent.
- Si deux de mes amis se disputent en ma présence, je ne dois pas les écouter ni tenter de les départager, car l’un d’eux pourrait alors faire de moi son ennemi. Si deux de mes ennemis se disputent en ma présence, je peux en revanche les écouter et tenter de les départager, car l’un d’eux fera sûrement de moi son ami.
- L’homme ne devrait jamais faillir à sa parole, même envers un ennemi. D’autant moins envers un ami ! La confiance entre amis devrait aller sans dire.
- Les obligations d’un ami s’arrêtent à son devoir.
- Si mes amis sont rares, rares seront mes joies, rares aussi seront mes tourments.
- Un vieil ami est chose précieuse, il ne doit être abandonné. Remplacez-le sans raison par une amitié nouvelle, vous ne tarderez pas à le regretter.
- Sur toute chose je peux consulter mes amis et avec eux prendre les décisions nécessaires, mais je dois savoir auparavant qui sont mes amis.
- Les amis sont supérieurs aux parents car ceux-ci peuvent ne pas s’aimer, ceux-là non. Lorsque les membres d’une même famille ne s’aiment pas, les liens de parenté demeurent. Retirez l’amour à l’amitié, elle n’a plus de raison d’être.
- Seule une entreprise dans laquelle l’amitié a sa place peut prospérer.
- C’est faire preuve d’une amitié profonde que de prendre pour amis les amis de ses amis, et pour ennemis les ennemis de ses amis. (Mes amis ne peuvent que connaître la vertu d’humanité : ils savent qui aimer et qui hairs. C’est pourquoi je m’en rapporte à eux.)
- Celui qui n’apporte pas son soutien à ses amis dans le besoin ne trouvera personne pour l’aider quand lui-même sera dans pareille situation.
- Lorsque des amis vulgaires sont ensemble, ils se divertissent plus qu’ils n’éprouvent de joie, et sont tristes en se quittant. Lorsque des amis vertueux se retrouvent, leur joie est plus grande que leur désir de se divertir, et ils se quittent sans regrets.
- Si je puis me méfier des autres, comment pourrais-je me méfier de mes amis ? Le plus petit doute à l’égard d’un ami est une atteinte grave aux lois de l’amitié.
- Dieu nous a donné deux yeux, deux oreilles, deux mains et deux pieds pour nous signifier que seule l’entraide de deux amis permet de mener à bien nos entreprises. (Le caractère chinois de l’ami était composé en sigillaire antique de deux mains, chacune indispensable. Le caractère du compagnon était composé de deux ailes, toutes deux indispensables à l’oiseau pour volert. N’est-ce pas ainsi que les sages de l’Antiquité voyaient l’amitié ?)
- Sans amitié ici-bas, point de joie.
- Si vous traitez vos amis avec fourberie, sans doute pourrez-vous au début les prendre au piège, mais avec le temps, vos ruses seront dévoilées, et ils vous prendront en dégoût et vous mépriseront. Si vous traitez vos amis avec sincérité, vous ne ferez d’abord que donner de vous-même, mais avec le temps, votre sincérité suscitera la confiance, et vous gagnerez le respect et l’attachement de vos amis.
- Si, pauvre et méconnu, je deviens riche et puissant, je ne dois pas abandonner mes anciennes relations. Mes nouveaux amis, pour certains, se rapprocheront de moi pour ma position. Si, riche et puissant, je deviens pauvre et méconnu, je ne devrai plus compter sur mes anciennes relations. Mes nouveaux amis, pour certains, seront guidés par la morale. Si mon ami, autrefois pauvre et méconnu, devient riche et puissant, je dois m’assurer de ses sentiments, de peur qu’il ne me rejette, moi qui recherche son amitié. Si mon ami, autrefois riche et puissant, devient pauvre et méconnu, je dois redoubler d’attention, de peur qu’il ne croie que je m’éloigne de lui, et que je m’en retrouve éloigné vraiment.
- À quelle époque vivons-nous donc ? Les mots caressants font naître l’amitié, les paroles sincères le ressentiment !
- Considérez les amis de cet homme : s’ils sont [nombreux comme les arbres de la forêt, vous saurez la grandeur de sa vertu ; s’ils sont rares comme les étoiles au matin, vous saurez son peu de vertu.
- Nouer une amitié est chose difficile pour l’homme de bien, facile pour l’homme de peu. Mais, de même que ce qui est difficile à unir est difficile à briser, ce qui s’unit aisément se sépare aisément.
- Si deux personnes habituellement en bons termes deviennent ennemies sitôt que surgit un petit litige matériel, j’en déduirai que les motifs de leur amitié n’étaient pas vrais. Dans une relation juste, l’on partage tout, les profits comme les pertes.
- Celui qui, à mes heures de prospérité ne vient que si je l’invite et, lorsque je souffre, vient à moi de lui-même, celui-là est un ami !
- Les choses de ce monde, prises séparément, sont pour la plupart sans utilité. Elles commencent à révéler leur intérêt lorsqu’on les assemble. Comment saurait-il en être autrement des hommes ? 6б. On goûte d’autant plus la saveur d’une belle amitié lorsqu’on la perd.
- Qui habite une teinturerie, fréquente le teinturier et s’approche des teintures, évitera difficilement de se salir. Qui se fait ami avec un vaurien, n’entend et ne voit que ses méfaits, l’imitera nécessairement et souillera son cœur.
- Chaque fois que je rencontre par hasard un ami sage, fût-ce pour un très bref instant, ma volonté de faire le bien s’en trouve encouragée.
- L’amitié n’a d’autre fin que celle-ci : si mon ami est meilleur que moi, je prends exemple sur lui ; si je suis meilleur que lui, je l’enseigne et le réforme. Cela s’appelle « apprendre en enseignant, enseigner en apprenant », les deux actions se complétant l’une l’autre. Si les qualités de mon ami ne méritent pas d’être prises en exemple, ou si mon ami est incapable de se réformer, quelle différence y aurait-il jentre notre commerce amical et celui del personnes qui passeraient leurs journées à s’amuser et plaisanter, et ne feraient que perdre leur temps ? (Un ami qui ne m’est d’aucun bénéfice est un voleur de temps. Or perdre son temps est plus grave que perdre son argent, car si celui-ci peut être épargné à nouveau, le temps, lui, ne peut se rattraper.)
- Imaginez un homme qui n’ait pas encore une foi profonde en la vérité, dont la vertu soit encore mal assurée, qui se comporte bien en société mais mal avec les siens, dont le cœur soit tremblant et irrésolu : il ne serait de meilleur remède, pour vaincre ses doutes et asseoir sa vertu, et ainsi le sauver d’une chute prochaine, que d’avoir un bon ami. Car tout ce que nous voyons et entendons pénètre peu à peu notre cœur, et finit par éclairer soudainement notre conscience, telle une loi nous encourageant à faire le bien. Grand est l’homme de bien ! Sans prononcer une parole, sans faire paraître sa colère, le respect que sa vertu inspire suffit à nous empêcher de faire le mal.
- Si mon amitié ne vous sert de rien, c’est que nous ne sommes, vous et moi, que deux flatteurs.
- Les éloges entre amis sont chose facile, mais se montrer sévère est difficile. Pourquoi la plupart des amis sont-ils reconnaissants envers ceux qui chantent leurs louanges, et oublient-ils les vertus de ceux qui se montrent sévères à leur égard ? Parce que les uns mettent en lumière leurs qualités, les autres leurs défauts.
- Si l’un n’a pas d’amour pour l’autre, l’on ne peut parler d’amitié entre deux êtres.
- Qu’il est triste d’apprendre que celui dont vous alliez solliciter l’aide n’est plus votre ami.
- Appliquez-vous à trouver de nouveaux amis, mais gardez-vous d’oublier les anciens.
- L’amitié est la richesse du pauvre, la force du faible, le remède du malade.
- Il est des nations sans richesses, il n’en est pas sans amis.
- Les coups de bâton de mes amis ont plus de prix que les présents de mes ennemis.
- Un monde sans amis serait comme un ciel sans soleil, un corps sans yeux.
- L’on met du temps à trouver des amis, l’on en trouve peu, et il nous est difficile de les conserver. Aussi devrions-nous, lorsque ceux-ci disparaissent de notre vue, les garder présents dans nos cœurs.
- Qui connaît les bienfaits de l’amitié devrait avoir pour dessein, chaque fois qu’il sort de sa maison et rencontre d’autres personnes, de ne rentrer qu’après s’être fait un nouvel ami.
- Un ami flatteur n’est pas un ami, mais un voleur : d’ami il ne fait qu’usurper le nom.
- Le malheur éloignera sûrement l’ami que ma bonne fortune aura attiré.
- Gardons-nous de rompre une amitié établie. Car une fois rompue, même si nous pouvons la renouer pour un temps, il est difficile de lui restituer sa totalité. Une coupe de jade dont les morceaux ont été recollés n’a plus sa beauté, et peut se briser facilement : elle n’est plus d’une grande utilité.
- Alors que le médecin tente de guérir son patient avec des potions amères, le flatteur, lui, essaie de s’approprier les biens d’autrui par des paroles mielleuses.
- Comment puis-je être ami avec autrui si je ne puis être ami avec moi-même ?
- Le sage, lorsqu’il désire se séparer d’un ami superficiel, s’en écarte petit à petit. Il ne rompt pas brutalement.
- Il est difficile d’être l’ami de tous. Je me contente, pour ma part, de n’être l’ennemi de personne.
- Si quelqu’un n’est pas votre ami mais se fie néanmoins à vous, mieux vaut ne pas le tromper : si vous le trompez, vous finirez par le haïri.
- Une vertu inaltérable est la meilleure nourriture d’une amitié durable. Il n’est chose dont on ne se lasse à la longue. Seule la vertu touche d’autant plus qu’elle perdure. Si elle est chose appréciable aux yeux de nos ennemis, elle l’est d’autant plus encore à ceux de nos amis.
- Le roi Alexandre (antique empereur d’Occident), dans un moment critique, s’apprêtait à s’engager en personne dans une bataille. Un de ses seconds l’arrêta et lui dit : « Sire, vous ne réchapperez pas d’un tel danger ! » Alexandre lui répondit : « Tu m’as déjà sauvé de mes faux amis et de mes vrais ennemis. De ceux-là je saurai me défendre seul ! »
- Le roi Alexandre, désirant lier amitié avec un sage du nom de Zénon, lui fit apporter en présent plusieurs dizaines de milliers de pièces d’or. « Quel genre de personne le roi pense-t-il que je suis, en m’offrant cela ? » répondit Zénon, irrité. « Vous vous méprenez, dit l’envoyé, le roi sait que vous êtes le plus intègre des hommes, ceci n’est qu’un présent. » « S’il en est ainsi, permettez-moi de demeurer intègre », dit-il à son tour, refusant d’un geste de la main. Les historiens en conclurent que le roi voulait acheter l’amitié de cet homme, mais que celui-ci refusa de la lui vendre.
- Alexandre, alors qu’il n’était pas encore roi et n’avait pas constitué de trésor royal, distribuait généreusement toutes les richesses qui entraient en sa possession. Le roi d’un pays ennemi, très riche et ne se préoccupant que d’agrandir son propre trésor, se moqua un jour de lui : « Où donc est votre trésor ? », lui demanda-t-il. « Dans le cœur de mes amis », répondit Alexandre.
- Il y avait autrefois un homme qui traitait si bien ses amis et les gratifiait si généreusement qu’il était venu presque à bout de sa fortune. Un proche lui demanda : « Que vous restera-t-il lorsque vous aurez distribué tous vos biens à vos amis ? » « Le plaisir de les avoir aidés », répondit-il. (Une autre tradition lui fait dire : « Il me restera l’espoir dans les amis que j’ai aidés. » L’aide ne s’entend pas dans le même sens, mais les deux réponses sont également belles.)
- Jadis, quelqu’un remarqua à propos de deux hommes qui marchaient ensemble, et dont l’un était aussi riche que l’autre était pauvre : « Voilà en effet deux bons amis ! » Théophraste, sage célèbre, entendit cela et dit : « Comment, dans ce cas, l’un peut-il être riche et l’autre pauvre ? » (I1 voulait dire par là que les véritables amis partagent tout ce qu’ils possèdent.)
- Un jour, un homme demanda à son ami de commettre un acte injuste, mais celui-ci refusa. Il dit alors : « À quoi bon vous avoir comme ami si vous refusez ce que je vous demande ? » L’autre répondit : « À quoi bon vous avoir comme ami si ces que vous me demandez est injuste ? »,
- Autrefois, le roi d’une contrée d’Occident s’était fait un ami, qu’il considérait comme un homme sage et clairvoyant, et l’entretenait à grands frais en sa capitale. Mais le temps passait en vain, car celui-ci ne lui adressait aucune remontrance. Il le congédia bientôt, lui disant : « N’étant qu’un homme, je ne peux être exempt de fautes. Ou bien vous ne les voyez pas, et vous n’êtes pas clairvoyant, ou bien vous les voyez sans me les reprocher, et vous n’êtes pas un sage ami. » Le roi agit ainsi parce qu’on ne lui avait pas reproché ses fautes. Que dire de ceux qui, de nos jours, déguisent les leurs ?
- Un proverbe scythe (du nom d’un royaume septentrional) dit que seul est riche celui qui possède beaucoup d’amis.
- Crésus (nom d’un roi d’Occident), homme de basse condition, était parvenu à la tête d’un grand Empire. À un sage qui lui demandait quel grand principe il allait mettre en application au cours de son règne, il répondit : « Récompenser mes amis et punir mes ennemis. » « Mieux vaudrait encore, après avoir récompensé vos amis, gracier vos ennemis afin d’en faire vos amis », répondit le sage.
- Megapito — érudit célèbre de l’Antiquité — venait d’ouvrir une grosse grenade. Quelqu’un lui demanda : « Maître, si vous pouviez avoir quelque chose en aussi grande quantité que ces pépins, que choisiriez-vous ? » Celui-ci répondit : « Des amis fidèles. »